Pub 2017

pub fondaction

 


 

Sommaire
Volume 1, no 2
Les fonds de travailleurs : du capital au service du travail et du développement

Pour télécharger en format PDF, cliquez ici

Les fonds de travailleurs :

du capital au service du travail et du développement

 

 

Gilles L. Bourque
Économiste à Fondaction,
Coordonnateur général des Éditions Vie Économique

 

Les fonds de travailleurs ne sont pas de simples avantages fiscaux comparables aux nombreuses échappatoires que les familles à revenu élevé sont les seules à pouvoir utiliser. Ils représentent plutôt l’une des innovations socioéconomiques parmi les plus importantes à avoir été mise en place par les artisans du modèle québécois de développement. Avec les institutions financières constituées par l’État québécois (Société générale de financement du Québec (SGF), Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), Investissement Québec) et celle fondée par le mouvement coopératif Desjardins, les deux fonds créés à l’initiative des deux grandes centrales syndicales sont des outils irremplaçables pour la maîtrise de l’avenir économique du Québec.

 

Les fonds de travailleurs représentent un capital au service du travail, dans la mesure où ils canalisent l’épargne des travailleurs directement vers des investissements productifs dans l’économie québécoise, créateurs d’emplois. Ils représentent également un capital au service du développement, parce qu’ils cherchent à renforcer les avantages comparatifs des secteurs d’activités où le Québec se distingue et à doter les communautés territoriales d’instruments d’intervention permettant d’assurer leur développement.

 

Contre vents et marées, les fonds de travailleurs ont développé, au cours des 25 dernières années, une finance responsable qui s’intéresse à l’économie réelle plutôt qu’à la spéculation financière, à une épargne sur un horizon de long terme plutôt qu’au très court terme du rendement trimestriel, au développement du Québec plutôt qu’à l’enrichissement abusif de ses actionnaires.

 

Malheureusement, à l’exception des ultralibéraux commandités par l’Institut économique de Montréal qui, régulièrement, envahissent la place publique (avec l’appui des grands empires médiatiques) pour dénoncer les avantages fiscaux des fonds de travailleurs, il y a peu de chercheurs qui s’intéressent à leur rôle et leurs impacts sur l’économie québécoise. C’est ce que nous allons chercher à combler avec ce texte.

 

 

Bref rappel historique

 

C’est à l’occasion du Sommet économique de Québec, en 1982, que la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) lance l'idée d'un fonds de travailleurs. Organisé par le gouvernement de René Lévesque, ce sommet visait à trouver des solutions à la grave récession qui frappe alors les pays développés, récession provoquée par les politiques monétaristes du président Ronald Reagan aux États-Unis, qui entraîne de nombreuses fermetures d’usines, mettant à la rue des dizaines de milliers de travailleurs au Québec.

 

Cette innovation socioéconomique du crédit d’impôt pour fonds de travailleurs, qui appelle à une mutualisation de la participation des travailleurs à l’investissement dans les entreprises au Québec, ne tombe pas du ciel. Depuis quelques années, déjà, on voit émerger de nouvelles pratiques de participation des travailleurs, à tous les niveaux d’activité. Dans l'entreprise, elles prennent la forme d'une présence paritaire au sein de comités touchant une large gamme de préoccupations. De plus en plus, elles se développent dans la participation à la propriété des entreprises, qu'il s'agisse de coopératives de travail ou de participation à l’actionnariat. Au niveau sectoriel, également, les expériences de participation se multiplient. Aux tables sectorielles de concertation introduites par les acteurs étatiques, s'ajoutent les Comités paritaires sectoriels d'adaptation de la main-d'œuvre (CAMO). Au niveau régional, de nouvelles formes de participation font converger l'économie et le social dans de nouvelles expériences communautaires sous la forme d'organismes de développement local ou régional. C’est dans ce contexte qu’apparaît l’idée d’une mutualisation de l’épargne des travailleurs pour le développement économique du Québec.

 

Une récession plus tard, au début de la décennie 1990, le Fonds de solidarité de la FTQ  est déjà devenu une composante-clé du modèle québécois. Avec plus de 300 millions de dollars d'actif et au-delà de 100 000 actionnaires, il a acquis une influence incontestable sur les mentalités et sur les stratégies de tous les acteurs économiques du Québec. Sa présence au sein des réseaux du Québec inc., et en particulier ses interactions avec les principales institutions financières étatiques de l’époque (SDI, SGF, CDPQ), donne au mouvement syndical une influence que la seule présence aux conseils d'administration de ces institutions ne permettait pas. En tant qu'instrument de développement industriel, le Fonds de solidarité permet surtout à l'acteur syndical de se qualifier sur de nouvelles problématiques sociales.

 

Par l'expertise que le Fonds de la FTQ développe en matière d'analyse des bilans financiers et sociaux des entreprises, l'aisance qu'il acquiert dans la maîtrise de la diversité des logiques en présence (marchande, publique, associative), le travail de formation et d’éveil à la vie économique qu'il poursuit auprès des travailleurs, il contribue à investir dans de nouvelles relations sociales. Ce fonds constitue dorénavant un gage, une assurance pour les autres investisseurs qui agissent en partenariat avec lui. Et l'inverse est également vrai. Grâce aux conventions d'actionnaires qu'il exige pour tous les projets d'investissement, le Fonds oblige à une transparence de la situation financière de l'entreprise, constituant en retour un gage, une assurance pour les travailleurs.

 

 

La modernisation du modèle québécois

 

Pourtant, malgré les nombreux engagements des gouvernements québécois qui se sont succédé depuis le début de la Révolution tranquille, l'écart historique du niveau d'emploi du Québec par rapport à celui de l'Ontario ne parvenait toujours pas à se résorber. Il apparaissait assez évident que cet écart dépendait en partie de la modernisation non achevée des secteurs traditionnels, stagnants ou en déclin, et du trop faible développement des secteurs d’avenir. Il était admis par tous que cette modernisation devait absolument passer par la création d'avantages comparatifs nouveaux et par de plus fortes synergies entre les divers secteurs du système productif québécois, comme l'ont fort bien souligné les auteurs du rapport Descôteaux de 1974, ceux de Bâtir le Québec dans les années 1980 et les initiateurs de la stratégie des grappes industrielles du début des années 1990.

 

Étant donné l'incapacité de la classe d'affaires à trouver des solutions dans l'intérêt général du Québec, malgré tous les moyens mis à leur disposition, la solution devait passer par une mobilisation sociale plus grande afin de développer les capacités collectives d'ajustement. C’est en donnant aux acteurs collectifs les moyens financiers dont ils avaient besoin qu’ils pouvaient devenir une force motrice du développement et initier la nécessaire modernisation du modèle québécois.

 

C’est avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement péquiste, au milieu des années 1990, que vont s’institutionnaliser les principes d’un modèle québécois renouvelé, plus partenarial. Dès le premier budget du nouveau gouvernement de Jacques Parizeau, le ministre des Finances, Jean Campeau, déplafonne l'émission d'actions qui avait été décidée par le précédent gouvernement libéral et donne son appui à la création d’un deuxième fonds de travailleurs (Fondaction créé par la Confédération des syndicats nationaux (CSN)). En outre, pour soutenir la création d’un réseau de fonds régionaux, l'État s'engage à prendre en charge les dépenses de fonctionnement de 16 Fonds régionaux de solidarité (FRS) pour une période de cinq ans. Peu de temps après, à l’occasion du Sommet de 1996, le gouvernement et les principaux acteurs économiques reconnaissent le rôle de l’économie sociale pour le développement du Québec, qui se voit elle aussi doter de nouveaux outils de développement, dont le Réseau d’investissement social du Québec (RISQ). Capital régional et coopératif Desjardins suivra peu de temps après.

 

 

Le financement des entreprises

 

Uniques en leur genre, les fonds de travailleurs sont des institutions financières hybrides qui recouvrent plusieurs fonctions. Doit-on parler de financement en capital de risque ou en capital de développement, d’investissement ou de placement privé, de capital de risque social ou de finance responsable? Lorsqu’on cherche à les définir sous l’angle des instruments financiers utilisés, on peut convenir qu’ils ont en commun d’utiliser des formes de financement en équité ou en quasi-équité, sans garanties, et d’offrir une expertise (de gestion, sectorielle, de commercialisation) aux entreprises qui profitent de ces investissements. En ce sens, il s’agit bien de capital de risque. Mais, lorsque l’on cherche à les définir sous l’angle des objectifs, les fonds de travailleurs se distinguent des sociétés de capital de risque « pur » puisque ce dernier se caractérise par l’objectif de la seule maximisation des rendements, alors que les fonds de travailleurs se définissent par une pluralité d’objectifs socioéconomiques. De ce point de vue, il faut plutôt parler en termes de capital de développement.

 

Donc, les fonds de travailleurs se reconnaissent comme des sociétés de capital de risque, du point de vue de leurs instruments, mais surtout comme des acteurs en capital de développement, du point de vue de leurs objectifs. Ils ne visent pas à maximiser les rendements financiers, mais à pérenniser leurs activités et celles des entreprises de leur portefeuille en obtenant un rendement raisonnable pour leurs actionnaires. Contrairement aux sociétés de capital de risque « pur », les fonds en capital de développement ont plusieurs objectifs, dont celui du développement économique de leur territoire, dans le but de créer de l’emploi.

 

Ces objectifs représentent des défis importants pour les entreprises du Québec. Dans le contexte qui est le leur depuis une vingtaine d’années, la compétitivité des entreprises québécoises est en effet mise à dure épreuve. Dans un environnement difficile (mondialisation accrue, dumping social et environnemental, mouvement imprévisible de la devise canadienne), elles doivent renouveler leurs façons de faire en travaillant en partenariat avec toutes les parties prenantes pour moderniser leur projet d’entreprise. En plus, le financement des entreprises a toujours posé un problème supplémentaire aux PME du Québec.

 

Les auteurs d’un rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, datant du début des années 2000, soulignaient d’ailleurs une détérioration de l’accès au financement pour l’ensemble des entreprises canadiennes. Selon eux, les années 1990 ont été marquées par un déclin du financement accordé par les banques au secteur des PME, ce qui les amène à conclure que l’accès au capital des entreprises avait nettement reculé. Il est clair que depuis plusieurs années les institutions financières préfèrent les rendements élevés découlant de la finance spéculative que ceux, bien moindre, provenant de l’économie réelle.

 

Un autre constat du rapport du Comité sénatorial recoupe les analyses qui ont été menées au Québec depuis 40 ans : le problème de l’endettement masque dans la réalité le fait que les difficultés de financement des PME découlent en grande partie d’un manque de capitaux propres. Dans le contexte particulier d’un renouvellement de l’entrepreneuriat, des contraintes accrues d’innovation et des préoccupations de développement local et régional, la problématique de la capitalisation rattrape nécessairement toutes les entreprises, petites ou grandes. Mais pour les PME, le problème est aggravé faute d’accès.

 

Dans cette optique, l’industrie de la finance joue un rôle économique fondamental et c’est la raison pour laquelle, du moins jusqu’à un passé récent, elle fait partout l’objet d’une réglementation beaucoup plus importante que d’autres secteurs. C’est aussi parce que l’industrie de la finance détient une influence majeure sur les orientations et les pratiques d’affaires des entreprises que la seule recherche du rendement ne suffit pas à légitimer une responsabilité sociale trop limitée.

 

Dans une petite économie ouverte telle que le Québec, où il existe relativement peu d’attirance « naturelle » pour la responsabilité sociale des entreprises, il faut d’une manière ou d’une autre avoir une vision de cette responsabilité qui va bien au-delà du seul rendement, et en tout premier lieu pour les entreprises du secteur de la finance, parce que les facteurs de concurrence de l’économie québécoise doivent être construits collectivement. Or, nous pensons que les raisons des difficultés du financement des entreprises québécoises, et plus particulièrement des entreprises technologiques, relèvent en partie d’un phénomène de structure industrielle, qui désavantageait jusqu’ici le Québec, aggravé par les inégalités des dépenses fédérales en Recherche et développement (R&D) qui favorisaient l’Ontario. D’où l’importance, tout à fait fondamentale, de se doter d’institutions financières stratégiques qui intègrent, de par leur nature même, parce qu’elles sont gouvernées par des acteurs collectifs dont les intérêts particuliers rejoignent l’intérêt général, une responsabilité sociale élargie.

 

 

La contribution des fonds de travailleurs au capital de développement

 

En tant qu’institutions, les fonds de travailleurs résultent de l’émergence de nouvelles pratiques syndicales, qui sont passées du paradigme de l’affrontement à celui de la concertation. D’autre part, en s’engageant dans une dynamique de reprise en main de l’épargne dans une perspective de participation au développement économique, les fonds de travailleurs contribuent plus qu’aucun autre acteur au développement de nouvelles pratiques économiques fondées sur le partenariat.

 

En presque 30 ans d’existence, les fonds de travailleurs ont transformé l’industrie de la finance au Québec. Ils ont été parmi les pionniers du capital de risque, qu’ils ont élargi à d’autres secteurs que ceux des hautes technologies. À nulle autre place au Canada, le capital de risque ne s’est-il autant investi dans les secteurs traditionnels qu’au Québec. Ils ont favorisé l’émergence d’un nouveau style de gestion, avec un mode de gouvernance plus transparent qui tient compte des autres parties prenantes. Ils ont contribué à la constitution de divers réseaux au niveau des secteurs d’activité ou des territoires. Bref, ils ont été les promoteurs actifs d’une grande diversité d’innovations organisationnelles.

 

Les fonds de travailleurs sont un cas exemplaire de l’émergence d’une économie plurielle. Cette nouvelle économie se définit comme l’ensemble des nouvelles manières de pratiquer l’économie du savoir et de l’innovation : des formes d’organisation du travail à haut degré d’engagement, le fonctionnement en réseau, les stratégies globales de partenariat, etc. On retrouve dans l’organisation même des fonds de travailleurs cette économie plurielle : une combinaison de logiques et de compétences relevant des marchés financiers, des pratiques d’affaires, du mouvement associatif ainsi que de la réglementation publique la plus stricte. Outre leur rentabilité financière, c’est aussi leurs rentabilités économique et sociale qui sont à prendre en considération lorsqu’on veut faire le bilan de ces institutions.

 

Grâce à un actif de plus de 6 milliards de dollars, alimenté principalement par des travailleurs syndiqués provenant de la FTQ, le Fonds de solidarité a été en mesure d’investir l’an passé 848 millions de dollars dans des projets à impacts économiques québécois. Sa forte présence dans des secteurs manufacturiers stratégiques, tels que l’aéronautique, la transformation du métal, les équipements de transport ou l’agroalimentaire, a contribué de façon significative à conserver une base manufacturière solide à l’économie québécoise. Le grand capital financier se fiche de cette considération : les Chinois peuvent tout fabriquer à meilleur prix. Mais un fonds d’investissement détenu majoritairement par des travailleurs provenant du secteur manufacturier ne peut pas s’en ficher. Pour répondre aux valeurs et aux préoccupations de ses actionnaires, il crée des expertises et des réseaux de partenaires sectoriels qu’il met à la disposition des entreprises manufacturières. Il aide ces entreprises à innover technologiquement et socialement de manière à poursuivre leur croissance ici, plutôt que de délocaliser complètement leurs activités de fabrication.

 

Plus petit par son actif et son actionnariat, Fondaction joue néanmoins un rôle tout aussi significatif dans des domaines stratégiques du modèle québécois de développement, à l’image du mouvement qui lui a donné naissance. En effet, le mouvement initié par la CSN (les fédérations, les conseils centraux et les outils collectifs créés à leurs initiatives) a, plus que d’autres, adopté les valeurs de l’économie sociale et du développement durable. Fondaction s’est rapidement distingué comme un fonds d’investissement socialement responsable. Il sera d’ailleurs le premier fonds à produire un rapport de développement durable, à l’occasion de son 10e anniversaire. Actif lui aussi dans les secteurs traditionnels (manufacturiers et services), Fondaction est reconnu pour ses interventions dans les technologies propres et pour son implication en faveur de l’économie sociale, par exemple son accompagnement du Technopôle Angus. C’est pour lui permettre d’agir plus efficacement dans ces domaines d’expertise que Fondaction a obtenu un avantage supplémentaire de 10 points de pourcentage de crédit d’impôt jusqu’à l’atteinte d’un actif de 1,2 milliard de dollars.

 

Ensemble, les deux fonds de travailleurs du Québec ont participé activement au maintien et à la création de plus de 100 000 emplois, et ont permis à près de 700 000 Québécois de se constituer une épargne-retraite complémentaire. Les études réalisées pour le compte du Fonds de solidarité concluent qu’avec les retombées fiscales qui leur sont directement attribuables, les gouvernements recouvrent les coûts du crédit pour les fonds de travailleurs dans un délai de deux ans au Québec et de moins de trois ans au fédéral. Par ailleurs, les fonds de travailleurs contribuent grandement, chacun à leur manière, à la démocratisation économique et à l’ouverture de ce champ d’activité aux dimensions sociales, éthiques et environnementales.

 

 

Le coût fiscal des fonds de travailleurs

 

Il faut bien comprendre que la prise en compte des rendements sociaux et environnementaux peut impliquer des rendements financiers plus modestes dans le court terme. Par contre, en raison même de cette prise en compte de principes qui relèvent de l’intérêt général, ils rapportent plus globalement, sur le long terme. De plus, comme nous le disions plus haut, les fonds de travailleurs donnent accès à un crédit d’impôt pour une épargne-retraite qui se veut accessible aux salariés moyens. Lorsque l’on compare soigneusement le crédit d’impôt pour fonds de travailleurs avec les autres types d’avantages fiscaux, la comparaison est, et de loin, très favorable aux fonds de travailleurs. En 2004, par exemple, une année où plusieurs études détaillées ont été menées, on constate que pour une dépense fiscale de 110 millions de dollars accordée par le gouvernement du Québec, le crédit d’impôt pour fonds de travailleurs a permis à 283 000 personnes d’épargner 733 millions de dollars pour leur retraite. Ça représente une moyenne de moins de 400$ de dépenses fiscales par personne. Mais la même année, les deux fonds de travailleurs ont investi près de 500 millions de dollars dans les PME québécoises. De ce côté, donc, les retombées économiques et sociales sont massives.

 

Comparons ces retombées avec celles de l’avantage fiscal de déduction pour gains en capital. Pour une dépense de 450 millions de dollars accordée par l’État québécois, donc pour un coût quatre fois plus élevé que celui des fonds de travailleurs, cet avantage fiscal n’aurait profité qu’à 8 107 contribuables, soit à 35 fois moins de personnes. En moyenne, l’avantage fiscal s’élevait à 55 555$ par contribuable, quasiment 140 fois plus que pour la contribution à un fonds de travailleurs. Déjà on voit la différence importante qui existe entre ces deux avantages. Mais lorsque l’on compare les retombées économiques de ces deux mesures, on doit constater que la nature de ces deux avantages est fondamentalement différente. L’impact de la déduction pour gains en capital sur l’économie du Québec est nul. Elle favorise une épargne qui ne contribue pas, ou très peu, à l’économie réelle [1]. Même qu’en réalité l’impact de cette mesure doit plutôt être négatif, puisqu’une partie du remboursement d’impôt à ces riches contribuables est probablement sortie du circuit économique québécois pour cause d’évasion fiscale. Selon une étude réalisée par les chercheurs de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), 350 des 450 millions de dollars de déductions fiscales de cette mesure, soit 78% de sa valeur, sont allés à des contribuables ayant des revenus supérieurs à 100 000$, la catégorie la plus susceptible d’utiliser les paradis fiscaux pour tricher avec le fisc. Le ministère des Finances du Québec évalue à 2,5 milliards de dollars les pertes fiscales annuelles découlant des pratiques d’évasion fiscale.

 

C’est vrai, l’avantage fiscal pour les fonds de travailleurs représente un coût direct pour l’État, mais étant donné ses retombées, on peut le considérer comme un investissement de long terme. Il s’agit d’un investissement productif qui permet d’améliorer le bien-être de centaines de milliers de contribuables lors de leur retraite, en même temps qu’il contribue à bonifier la compétitivité de l’économie du Québec.

 

La conjoncture actuelle montre que le modèle québécois a finalement réussi à combler l’écart historique du niveau d'emploi du Québec, qui a été mentionné précédemment. Pour la première fois, l’écart est plutôt à notre avantage. La restructuration du système productif des 30 dernières années a débouché sur une économie plus diversifiée, ainsi que sur un caractère davantage pluriel, où l’économie publique et l’économie sociale sont beaucoup plus présentes qu’ailleurs en Amérique du Nord. À cet égard, nous sommes plus près des modèles européens, en particulier du modèle nordique.

 

Le rôle qu’y ont joué les deux fonds de travailleurs n’est pas insignifiant. Ils ont été des pionniers dans plusieurs domaines. Ils ont aussi souvent apporté un effet multiplicateur irremplaçable aux actions des acteurs publics ou de la société civile pour construire une autre économie. Ils représentent, à eux seuls, la résilience du modèle québécois, malgré un environnement politique parfois particulièrement hostile.

 

 

Conclusion

 

Les outils de développement économique que se sont donnés les Québécois depuis deux, trois décennies, donnent des résultats concluants, que nous pouvons constater aujourd’hui, alors que nous entrons dans un cycle de transformation profonde du modèle de développement. Mais justement, dans ce contexte, nous devons redoubler d’efforts pour soutenir les entreprises, en particulier les PME, parce que la situation est encore plus urgente aujourd’hui. Nous sommes confrontés à de nouveaux défis. Nous sommes à un moment charnière et nous devons mobiliser toutes nos ressources pour y faire face.

 

Par exemple, selon le Ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation du Québec (MDEIE), 30 000 propriétaires de PME prendront leur retraite dans les cinq prochaines années et 60 000 d’ici 10 ans. Il serait illusoire de penser conserver la maîtrise de notre avenir collectif sans se préoccuper de garder le contrôle de cette multitude de micro-centres de décisions économiques que représentent ces entreprises. Pour y arriver, nous devons accroître le contrôle de nos institutions financières, dont l’influence sur la vie des entreprises est croissante. Ce contrôle des institutions financières québécoises est l’un des plus importants héritages que nous ont légués les artisans du modèle québécois de développement et il faut s’assurer de le consolider.

 

Par ailleurs, le passage à une économie sans carbone va exiger une transformation globale de la vie économique. Ce passage ne se fera pas seulement par le développement de technologies propres. Ces dernières ne constituent qu’un aspect de la transformation dont nous avons besoin. Il faut en même temps assurer la diffusion des nouvelles pratiques de la finance responsable, de la responsabilité sociale des entreprises et de la consommation responsable. Dans ce domaine, les deux fonds de travailleurs ont un rôle important à jouer auprès de leurs partenaires syndicaux, patronaux, gouvernementaux et de la société civile. Car, quoiqu’on en pense, les solutions passeront nécessairement par le développement d’une économie plurielle, encore plus solidaire et durable qu’elle peut l’être aujourd’hui.

 



 [1] Il s’agit dans la plupart des cas de placements sur les marchés secondaires.

Vous lisez présentement:

 
Le capital au service du travail et du développement
octobre 2009
Les expériences québécoises de « capital au service du travail » ne sont donc pas uniques. Elles s'insèrent dans une dynamique internationale de création de contre-pouvoir à un système financier en manque de régulation ainsi qu'à une phase historique de la mondialisation des activités économiques trop fortement influencée par le laisser-faire.
     
Tous droits réservés (c) - Éditions Vie Économique 2009| Développé par CreationMW