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Quelques enjeux de la concentration de l’immigration à Montréal
Par Gilles Rioux
Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC)
Chaque jour, une centaine de nouveaux arrivants choisissent de s’établir sur l’île de Montréal; c’est deux fois et demie de plus que le nombre de nouveaux arrivants qui choisissent le même jour de s’établir dans tout le reste du Québec. Un tel déséquilibre soulève d’importants enjeux tant à Montréal que pour l’ensemble du Québec.
Cette contribution se réalisera en trois parties. Une première partie établit le niveau de concentration de l’immigration québécoise sur l’île de Montréal; une deuxième partie porte sur les conditions d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal; enfin, une troisième partie soulève la question de la fracture démographique croissante créée par cette concentration entre Montréal et le reste du Québec.
L’objectif de ce texte est de contribuer au débat sur l’impact d’une telle concentration sans pourtant prétendre en disposer de façon exhaustive. Ce travail n’est pas une étude d’impact de l’immigration vue plus globalement, mais seulement sur sa concentration sur une partie du territoire du Québec.
Le niveau de concentration de l’immigration québécoise sur l’île de Montréal
Le quart de la population du Québec, la population de l’île de Montréal doit accueillir et intégrer presque les trois quarts de ses immigrants [1]. Depuis 10 ans, soit de 2004 à 2013, il est arrivé en moyenne 35 000 immigrants par année sur l’île de Montréal tandis que le reste du Québec en accueillait annuellement moins de 14 000. Pour la large majorité des nouveaux arrivants, immigrer au Québec, c’est dans les faits immigrer à Montréal.
De plus, ce phénomène est en forte croissance. En 2011, l’île de Montréal comptait 201 070 immigrants de plus qu’en 1991, soit 49 %. En 2011 toujours, les immigrants constituaient 33,2 % de la population montréalaise contre 23,5 % vingt ans plus tôt en 1991. Selon un mémoire récent produit par la Ville de Montréal, plus de la moitié (55 %) des résidants de l’Île sont soit nés à l’étranger soit issus d’au moins un parent né à l’étranger. Montréal est de plus en plus la terre non seulement d’accueil, mais d’enracinement pour le plus grand nombre d’immigrants au Québec.
La dernière décennie a également permis de donner la pleine mesure à la réorientation des critères de sélection des nouveaux arrivants réalisée quelques années plus tôt et devant permettre le recrutement d’une majorité d’immigrants parlant français. Cet objectif a été atteint, mais au prix d’une modification en profondeur des caractéristiques des immigrants sélectionnés. Les bassins de recrutement ont été revus. Les nouveaux immigrants d’aujourd’hui sont majoritairement membres des minorités visibles, pratiquent une plus grande diversité de religions et éprouvent de plus grandes difficultés d’intégration.
En 2011, selon les statistiques de la Ville, près du tiers de la population montréalaise fait partie d’une minorité visible :
« La population de l’agglomération de Montréal (Île de Montréal) associée à une minorité visible est constituée de 559 080 personnes, soit 30 % de la population totale. Parmi celles-ci, 155 800 individus s’identifient au groupe des Noirs (28 %) et 109 585 au groupe des Arabes (20 %). Les 70 485 personnes qui déclarent appartenir au groupe des Latino-Américains comptent pour 13 % de la population associée à une minorité visible. »
On constate aussi que la pratique religieuse est de plus en plus diversifiée :
« 65 % de la population de l’agglomération de Montréal (Île de Montréal) se définit d’appartenance religieuse chrétienne. C’est le cas de 1 200 295 citoyens. Par ailleurs, on recense 165 440 personnes qui se déclarent de religion musulmane (9 %) et 76 525 individus qui sont d’appartenance religieuse juive (4 %). »
En somme, la proportion des immigrants s’établissant sur l’île de Montréal demeure constante, autour de trois quarts des immigrants reçus. Mais, comme le nombre d’immigrants accueillis annuellement a connu une augmentation significative, Montréal accueille davantage d’immigrants qui sont maintenant majoritairement membres des minorités visibles et pratiquent une plus grande diversité de religions.
Les conditions d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal
La réussite de l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants exigent la réunion de moyens matériels considérables et de conditions politiques favorables. Pour un pays d’immigration comme le Québec, l’accueil et l’intégration des immigrants doivent s’accompagner d’un véritable projet de société :
« La vitalité d’une collectivité est influencée positivement par sa diversité, tant sur les plans social et culturel qu’intergénérationnel. Une bonne cohésion sociale est de nature à stimuler la créativité et la vitalité d’une collectivité grâce aux différents courants qui l’animent. Ainsi, le gouvernement et les municipalités doivent veiller à créer ou à conserver les conditions favorables à cette cohésion. Une offre de logements diversifiée, un aménagement urbain intégrateur, des infrastructures récréatives et culturelles ainsi que la mobilisation des communautés peuvent contribuer à favoriser les interrelations et une mixité sociale, culturelle et intergénérationnelle favorable au dynamisme des milieux de vie. »
La Stratégie pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires 2011-2016 dont il est ici question ne s’est malheureusement pas traduite par des programmes à la hauteur de ses objectifs. C’est l’Énoncé de politique Au Québec pour bâtir ensemble de 1990 qui est demeuré la référence. Cet Énoncé est aujourd’hui en cours de révision et devrait être remplacé par une nouvelle politique d’immigration au cours de la présente année.
Au cours de la dernière décennie, beaucoup d’observateurs ont constaté sur le terrain un désengagement réel du ministère responsable de l’immigration (aujourd’hui, le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, MIDI). Il s’est retiré presque entièrement du domaine de l’emploi, a transféré le premier accueil de la majorité des nouveaux arrivants à quelques groupes communautaires, a réduit son budget en termes réels pendant plusieurs années et il a fermé beaucoup de points de services. De plus, il n’y a pas de véritable coordination gouvernementale de l’accueil et de l’intégration des nouveaux arrivants; quatre ministères [2] se partagent la tâche selon la logique propre à chacun d’entre eux.
Pourtant, l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains de 1991, devant faciliter l’intégration en français des nouveaux arrivants, a vu sa contribution s’accroître de façon fulgurante. De 75 M$ en 1991, elle est rendue à 340 M$ cette année : une progression de 453 % en un peu plus d’une vingtaine d’années. Cadeau fédéral au lendemain de l’échec de l’Accord du lac Meech, cette entente ne prévoit, contrairement aux autres ententes fédérales-provinciales, aucune reddition de comptes sur la façon de dépenser le montant du transfert annuel et sa croissance est due à deux clauses automatiques. Autrement dit, l’accueil, l’intégration et la francisation des immigrants ne devraient être soumis à aucune politique d’austérité. Or, pour ne prendre comme exemple que l’année en cours, 2015-2016, le budget du MIDI passe de 299 à 293 M$, dont 166 M$ transférés aux trois autres ministères pendant que le transfert fédéral passe de 320 à 340 M$. Voir la section intitulée « Citoyenneté et Immigration ».
Mais qui est vraiment concerné par cette situation?
« On observe aussi que le nombre de personnes immigrantes augmente. Elles proviennent d’origines de plus en plus variées et 20 % d’entre elles, actuellement admises au Québec, ne connaissent ni le français, ni l’anglais. L’attraction, l’accueil et l’insertion socioéconomique, culturelle et linguistique des nouveaux immigrants demeurent des défis qui concernent tous les territoires. Ces défis touchent encore plus particulièrement la région métropolitaine de Montréal et sa ville centre, Montréal, qui accueille encore la grande majorité de la population immigrante et assume aussi, en grande partie, les coûts de leur intégration au Québec. »
Comme Montréal accueille les trois quarts des nouveaux arrivants, c’est son territoire qui est d’abord concerné. Et les besoins sont loin d’y être comblés, particulièrement pour ceux de première nécessité.
L’emploi
L’intégration difficile au marché du travail a été nombre de fois été démontrée. L’intégration de l’immigrant est plus difficile que le non-immigrant; la difficulté s’accroît s’il est membre d’une minorité visible. Enfin, Montréal prend plus de temps à intégrer ses immigrants au marché du travail que ses comparables comme les villes de Toronto et de Vancouver.
Certaines populations immigrantes sont l’objet de discrimination, voire de racisme, lors de l’embauche comme l’a démontré une enquête de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Le taux de chômage de ces populations frôle les 30 %.
Les centres locaux d’emploi (CLE) de Montréal accueillent majoritairement des personnes nées à l’étranger, 64 % selon le MESS. Cette surreprésentation des immigrants dans les CLE est une manifestation parmi d’autres de moyens insuffisants ou inappropriés d’accompagnement des nouveaux arrivants dans leur quête d’emplois.
Le revenu
À Montréal, la majorité des immigrants récents vit dans la pauvreté (58 %) : leur revenu moyen est près de deux fois inférieur à celui des non-immigrants, s’élevant à 18 103 $ comparativement à 29 173 $ [3]. Bien que les immigrants constituent 33 % de la population montréalaise, ils constituent un bénéficiaire sur deux de l’aide sociale selon le MESS.
Le logement
Ce faible revenu empêche l’accès à un logement convenable. 17 % des « ménages immigrants » (56 615 sur 306 010 ménages immigrants de Montréal) vivent dans un logement de taille insuffisante, comparativement à 4 % des non-immigrants. Le chiffre monte à 28 % s’il s’agit d’un immigrant récent. Les immigrants sont aussi surreprésentés dans les listes d’attente pour les logements sociaux et constituent plus de la moitié des demandes.
Le développement d’un programme de grands logements sociaux pour l’accueil des familles immigrantes était considéré en 2011 par la Ville de Montréal comme une des conditions à réunir pour le maintien du volume actuel d’immigrants [4].
La santé et les services sociaux
D’après la Direction de la santé publique de Montréal, 44 % des familles immigrantes n’ont pas de médecin de famille comparativement à 30 % pour les familles non immigrantes.
Quant aux services sociaux, la diversification de l’immigration a fait apparaître des besoins accrus dans certains domaines plus spécialisés. Comme l’a malheureusement démontré l’affaire Shafia, la Direction de la protection de la jeunesse n’a pas pu développer à temps son expertise pour prévenir les quatre crimes d’honneur commis en 2009. Certains phénomènes — comme les crimes d’honneur, les mariages forcés ou encore plus récemment la radicalisation extrême de certains jeunes — exigent le développement d’expertises spécialisées dans les services sociaux ou les services de police.
La pratique religieuse
L’île de Montréal compte plus de 500 lieux de cultes. Cependant, la diversification de l’immigration se traduit par une augmentation du nombre des religions pratiquées et, conséquemment, une demande accrue de lieux de cultes. La Ville de Montréal considère qu’il y a entre 40 et 60 nouveaux lieux de cultes chaque année. Ces nouveaux lieux de cultes ont divers statuts allant de salles louées temporairement, de centres communautaires ou de lieux de cultes avec reconnaissance formelle. Ces divers lieux comportent de nombreux enjeux urbains en matière d’urbanisme, de sécurité-incendie, de stationnement, de circulation, etc. Leur implantation dans les quartiers crée parfois des tensions avec le voisinage et exige une gestion harmonieuse de la cohabitation d’intérêts divergents.
En somme, dans des domaines de première nécessité, les conditions matérielles d’accueil d’immigrants sont dans bien des cas soit insuffisantes, soit mal adaptées. Les conditions ne sont pas réunies pour considérer l’immigration comme faisant partie d’un véritable projet de société inclusif et solidaire.
Pourquoi de telles insuffisances perdurent-elles?
Les conséquences de ces lacunes sont importantes. La pauvreté, l’exclusion de l’activité économique et la marginalisation sociale sont des phénomènes qui affectent les personnes concernées et les empêchent de jouir de leur pleine citoyenneté. Elles privent aussi la société d’une partie importante de ses ressources humaines, freinent son développement et entraînent des conséquences non seulement sociales, mais aussi économiques. Ces phénomènes sont aussi associés à des coûts de santé plus élevés.
Comment peut-on laisser perdurer une telle situation pour l’immigration à Montréal? Pourquoi une telle indifférence autour de cette question? Qui en est vraiment imputable?
Il y a une perception bien ancrée d’une pauvreté résiliente associée à Montréal dans laquelle la misère d’une partie des immigrants vient s’inscrire, voire se relativiser. C’est que le rôle métropolitain de Montréal comprend d’être le refuge ultime des causes difficiles, que l’on soit itinérant ou l’objet d’une quelconque désaffiliation sociale. La réalité vient confirmer cette perception. Montréal avec le quart de la population du Québec a le tiers de sa pauvreté. Le taux d’aide sociale à Montréal est de 9,6 % tandis qu’il est de 6,6 % pour l’ensemble du Québec.
Il y a la fatalité métropolitaine, mais aussi le désintérêt politique de Montréal parce que l’avenir électoral des gouvernements ne dépend jamais des résultats électoraux de l’île de Montréal. Les résultats de la majorité des circonscriptions électorales montréalaises sont connus dès le déclenchement des campagnes électorales. Si le comportement électoral du reste du Québec était aussi prévisible que celui de Montréal, le Québec réélirait systématiquement le même gouvernement. La seule curiosité électorale de Montréal est le lent recul du Parti Québécois au profit de Québec Solidaire et du Parti libéral.
Les problèmes montréalais d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants sont en quelque sorte victimes de cette double fatalité métropolitaine et politique. Et comme l’immigration montréalaise constitue la large majorité de l’immigration québécoise, c’est toute l’immigration dont l’intérêt tombe dans une sorte d’indifférence relative.
Cette indifférence aux conditions réelles d’intégration ne signifie pas que l’on ne parlera pas pour autant d’immigration sur la scène publique. Deux grands dossiers électoraux de la dernière décennie avaient un lien avec l’immigration. Le premier grand dossier porté par l’Action démocratique du Québec concernait les accommodements raisonnables qui conduiront le Québec à la Commission Bouchard-Taylor. L’autre grand dossier porté par le Parti Québécois cette fois concernait la Charte des valeurs québécoises qui contribuera à la défaite du gouvernement. Lorsque l’on a ainsi parlé d’immigration, ce n’était pas pour régler les problèmes matériels liés à l’accueil et l’intégration des immigrants, mais pour faire des gains électoraux dans le reste du Québec. Dans ces deux cas, le dossier de l’immigration a été en quelque sorte détourné à d’autres fins.
La presse, un autre acteur public, arrive-t-elle par son rôle de vigilance à rééquilibrer la situation? Sauf pour les deux grands débats déjà mentionnés, les manchettes de presse concernant l’immigration portent plus souvent sur des cas pathétiques [5] que sur les problèmes systémiques.
Le tout laisse beaucoup d’espace aux divers ministres de l’Immigration qui peuvent continuer à se dire parfois préoccupés, rarement responsables et encore moins imputables. En matière de « gouvernance », même le projet de nouvelle politique d’immigration s’interroge davantage sur la subsidiarité que sur l’imputabilité.
Enfin, un acteur, la Ville de Montréal, a régulièrement rappelé le besoin de mieux répondre aux besoins des nouveaux arrivants, mais souvent avec beaucoup de timidité. C’est que Montréal est partagée entre les deux modèles d’intégration qui, malgré l’accord Canada-Québec, continuent de s’affronter, d’un côté, le modèle canadien avec son multiculturalisme et son bilinguisme, et de l’autre côté, le modèle québécois avec son interculturalisme et son unilinguisme. La situation reste bloquée, voire préoccupante : tous les partis politiques municipaux refusent de trancher clairement en privilégiant un modèle d’intégration plutôt que l’autre. C’est un peu comme beaucoup d’immigrants qui ont intériorisé cet état de fait et se définissent avant tout comme « montréalais ».
C’est sur un autre front que la situation risque d’évoluer. La Ville de Montréal a toujours considéré être contrainte de suppléer aux insuffisances du soutien que le gouvernement apporte aux nouveaux arrivants et d’assumer par ses services des accompagnements relevant de ce dernier. La Ville considère qu’elle serait par subsidiarité la mieux placée pour agir sous réserve de se voir pleinement compensée. C’est aussi la position exprimée dans le livre blanc de l’Union des municipalités du Québec.
Cette revendication vient cette fois dans un mouvement plus large qui va contraindre le gouvernement du Québec d’y répondre. Le nouveau maire de Montréal, Denis Coderre a entrepris depuis son élection une démarche de reconnaissance du statut de Montréal Métropole; il est parvenu jusqu’ici à établir un certain rapport de force avec le gouvernement du Québec, et ce, malgré le peu d’intérêt électoral de Montréal. Cela ne s’était pas vu depuis le règne du maire Jean Drapeau.
Compte tenu du rôle important joué par la Métropole dans l’accueil et l’intégration des immigrations, la revendication d’y voir reconnaître son rôle contribue à définir la spécificité métropolitaine et y occupe donc une place centrale.
D’ailleurs le document de consultation sur la nouvelle politique d’immigration a manifesté une première ouverture dans ce sens :
« De quelle manière devrait-on adapter les programmes offerts à l’ensemble de la population afin qu’ils prennent en compte les besoins particuliers des personnes immigrantes et des minorités ethnoculturelles? Comment engager les divers acteurs sociaux, notamment les instances territoriales, dans la prise en compte de ces besoins dans leurs actions et dans leurs politiques? Comment le rôle des instances territoriales devrait-il se conjuguer avec celui du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion et avec celui des autres ministères et organismes? Dans le contexte des discussions que tient le gouvernement avec les municipalités sur la redéfinition des relations entre elles et le gouvernement, notamment avec la métropole et la capitale nationale, quel devrait être leur rôle en matière d’accueil, d’intégration, de francisation, de relations interculturelles et d’inclusion? »
La Ville de Montréal y a répondu dans son mémoire en commission parlementaire sur la consultation publique sur ce projet de nouvelle politique d’immigration :
« Recommandation 11. Dans l’esprit des principes de subsidiarité et d’efficience mis de l’avant par le gouvernement et auxquels la métropole souscrit, dans le contexte d’une reconnaissance effective du statut de métropole et dans la perspective de l’obtention de pouvoirs accrus qui en découlerait : Que le gouvernement du Québec reconnaisse enfin le rôle de la métropole en matière d’accueil et d’intégration des immigrants, sa spécificité et ses besoins et qu’elle lui alloue les ressources financières nécessaires pour assumer ce rôle. »
La Ville y ajoute un certain nombre de revendications susceptibles de commencer à combler les principales lacunes des programmes gouvernementaux et d’orienter le travail à accomplir :
« Recommandation 5. Que le gouvernement du Québec s’engage à revoir les modes de fonctionnement à l’échelle du territoire montréalais, en privilégiant une approche intégrée menant à un continuum de services performants qui prend en compte l’ensemble des besoins des citoyens montréalais issus de l’immigration, et ce, en étroite collaboration avec les partenaires communautaires et institutionnels;
Recommandation 6. Que le gouvernement du Québec réévalue sa décision de mettre fin au programme novateur de parrainage professionnel à la Ville de Montréal qui permettait aux nouveaux arrivants d’acquérir une première expérience de travail en sol canadien et mettre en valeur leurs compétences, et accorde les ressources nécessaires pour le financer à nouveau;
Recommandation 10. Que soit créée une instance permanente de coordination interministérielle responsable de l’accueil des réfugiés et que soit considérée avec attention, dans le contexte de la situation internationale actuelle, la possibilité d’adapter le modèle Soutien à l’intégration, liaison et accompagnement (SILA) qui a fait ses preuves, à toute situation d’accueil d’urgence; »
Rien n’est réglé, loin de là! Mais il s’agit du premier espoir de voir un acteur politique important impliqué et intéressé pour proposer une organisation mieux adaptée aux caractéristiques de la nouvelle immigration des années 2000.
La fracture démographique croissante entre Montréal et le reste du Québec
« Pour l’heure, on peut encore dire, me semble-t-il, que c’est cette manière d’être ensemble, de vivre ensemble qui fait qu’il y a “une” culture québécoise, un fonds commun, par-delà la diversité par ailleurs réelle des cultures particulières. À cet égard, il y a assurément deux grandes cultures québécoises, celle de la communauté montréalaise, qui s’étend au nord et au sud de l’île, et celle du reste du Québec. Le pluralisme religieux, linguistique et ethnique de la région montréalaise fait que la culture québécoise y est engagée dans une évolution que ne connaissent pas de la même manière les autres régions du Québec. Un écart que je qualifie de dramatique s’est creusé entre Montréal et le reste du Québec. » Extrait de Guy Rocher entretiens avec François Rocher, Éditeur Boréal, p. 100, Montréal 2010.
Ce fossé, cet « écart dramatique » pour reprendre l’expression de Guy Rocher, constitue une menace à la cohésion du Québec, et ce, quel que soit le statut constitutionnel que choisira le Québec. C’est là le principal impact que la concentration de l’immigration à Montréal a sur l’ensemble du Québec.
Cette véritable fracture démographique (religieuse, linguistique et ethnique) s’accentue au gré de deux phénomènes, une immigration croissante qui s’enracine majoritairement sur l’île de Montréal et des flux migratoires métropolitains qui se soldent par une surreprésentation des ménages francophones sortant de l’Île vers la périphérie métropolitaine. Dans les deux cas, il s’agit de tendances lourdes que ne changent pas significativement deux décennies de programmes de régionalisation de l’immigration d’une part et de mesures d’incitations au maintien des ménages francophones sur l’île de Montréal d’autre part.
Les perspectives démographiques préparées par l’ISQ pour l’île font de Montréal une terre encore plus distincte (composition, âge, main-d’œuvre, etc.) du reste du Québec :
« Selon le scénario de référence, la population de Montréal devrait continuer de croître au cours des 25 prochaines années, passant de 1,92 million d’habitants en 2011 à 2,24 millions en 2036, une hausse de 17 %. Par rapport à l’édition précédente, la population projetée dans le nouveau scénario de référence marque un léger rehaussement. Le rythme d’accroissement total serait réduit de presque la moitié en 2036 par rapport au début de la période de projection. L’accroissement naturel devrait demeurer positif tout au long de la période. Montréal bénéficierait également d’un solde migratoire international très favorable. La répartition par âge des immigrants, plus jeune que celle de l’ensemble de la population, contribue à ralentir le vieillissement. La part des aînés passerait de 15 % en 2011 à 21 % en 2036, la plus faible augmentation parmi les régions administratives, et l’âge moyen augmenterait faiblement, de 40,2 à 42,5 ans en 25 ans. Montréal serait également une des seules régions du Québec à maintenir un indice de remplacement de la main-d’œuvre favorable. »
Pour comparaison en 2036, dans la région de la Capitale nationale, l’âge moyen sera de 46,6 ans (au lieu de 42,5), les aînés représenteront 27,7 % de la population (au lieu de 21 %) et l’indice de remplacement de la main-d’œuvre [6] sera de 98 (au lieu de 128).
Ce dernier indice de remplacement de la main-d’œuvre peut à lui seul donner toute la mesure des déséquilibres à venir si l’immigration n’est pas — tant soit peu — mieux répartie à travers le Québec. Si en 2036 la région de la Capitale nationale est à 98, elle sera presque en situation d’équilibre. Il n’en sera pas de même pour les territoires du Québec situés hors des RMR qui en seront à 76. Il aura une pénurie grave économique de main-d’œuvre : un travailleur sur quatre manquera à l’appel.
Pendant ce temps à Montréal avec un indice de 128, ce sera un problème social et économique de surplus de main-d’œuvre et de chômage.
Aussi, le projet de nouvelle politique de l’immigration a raison de s’en inquiéter :
« La prise en compte des besoins des milieux et la concertation avec les instances territoriales permet de favoriser une plus grande contribution de l’immigration à l’occupation et à la vitalité des territoires. En raison de leur proximité avec la population et des responsabilités qui leur incombent, elles sont à cet égard des intervenantes de premier plan. Comment pourrait-on mieux définir et prendre en compte les besoins des régions, notamment de celles confrontées à des raretés de main-d’œuvre dans certains secteurs d’activité, ainsi que de la métropole et de la capitale nationale en matière d’immigration? Comment les collectivités qui ont exprimé des besoins en matière d’immigration peuvent-elles se faire encore davantage accueillantes et inclusives? »
Comment les collectivités peuvent-elles se faire davantage accueillantes et inclusives? Il y aurait beaucoup à dire sur ce thème. Les débats politiques entourant la Charte des valeurs québécoises n’ont sans doute pas contribué à ce rapprochement entre la population issue de l’immigration de Montréal et le reste du Québec!
Des initiatives doivent être prises pour rétablir les ponts durablement entre Montréal et le reste du Québec. Des exemples de pays étrangers qui ont connu des expériences bien pires peuvent contribuer à la solution. Pour n’en prendre qu’une, voyons comment la France et l’Allemagne se sont donné des mécanismes permanents de rapprochement par leurs jeunesses respectives. Ils s’étaient fait la guerre trois fois en 100 ans.
Lors de leur réconciliation formelle en 1963, ils se sont donné un organisme permanent de coopération pour leurs jeunesses « pour resserrer les liens qui les unissent et pour renforcer leur compréhension mutuelle ». Il s’appelle l’Office franco-allemand pour la jeunesse et continue son travail couronné de succès jusqu’ici.
Si rien n’est fait, la fracture « religieuse, linguistique et ethnique » pour reprendre les qualificatifs de M. Guy Rocher n’ira qu’en s’amplifiant et menacera la cohésion du Québec. Un effort de rapprochement est plus nécessaire que jamais.
Le Québec peut-il se doter un programme d’échanges culturels entre la jeunesse de Montréal et celle du reste du Québec… avant que la situation ne se détériore davantage?
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[1] Précisément 72,1 % de moyenne de 2004 à 2013 MIDI, Recueil de statistiques sur l’immigration et la diversité au Québec, 2014, p.44.
[2] Le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS), le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).
[3] Direction de la santé publique de Montréal, étude sur le logement à paraître en 2015.
[4] Ville de Montréal, Mémoire sur la planification de l’immigration, 2011, p. 6.
[5] Par exemple, le rejet d’une demande d’asile d’une personne dont les enfants sont nés et ont même commencé à être scolarisés au Québec.
[6] L’indice de remplacement de la main-d’œuvre : 20-29 ans/55-64 ans X 100.