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Volume 3, no 3 |
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Introduction au volume 3, numéro 3 |
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Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici. Introduction au volume 3, numéro 3Gilles L. Bourque Éditeur, Revue vie économique
Pour la grande majorité des populations du monde, les paradis fiscaux représentent, pour emprunter l’expression d’un des contributeurs à ce numéro, un «enfer social», c’est-à-dire une échappatoire qui permet à tous les voyous millionnaires de la planète de ne pas payer leur juste part au bien commun. Si les paradis fiscaux représentent pour les pays développés un manque à gagner fiscal significatif, fragilisant leur système de protection sociale, ils sont pour les pays en développement un véritable enfer. Dans un contexte de bouleversement des solidarités traditionnelles, remises en cause par la mondialisation des échanges, l’évasion fiscale fait disparaître les maigres ressources qui auraient pu permettre à ces pays de commencer à construire de nouvelles solidarités. Nous le verrons dans ce numéro, les preuves sont nombreuses pour démontrer que la fraude massive, celle qui peut véritablement faire la différence sur les comptes publics, est d’abord et avant tout l’affaire des élites économiques. Selon les résultats du 11e rapport sur la richesse globale du Boston Consulting Group (BCG), les inégalités se sont creusées comme rarement auparavant dans la foulée de la crise financière de 2008. Désormais, 1% des ménages détiennent 39% de la richesse mondiale. Le nombre de millionnaires dans le monde s’est accru de 12% en 2010. C’est aux États-Unis que l’on trouve le plus grand nombre de millionnaires (5,2 millions de ménages, 3% de la population). Le Japon arrive en seconde place avec 1,5 million de ménages millionnaires, puis la Chine troisième, avec 1110. Le nombre de millionnaires progresse surtout en Asie et dans les pays émergents, et leur part de la richesse mondiale a progressé de 2,9% en 2010. La richesse globale des ménages a connu une croissance exceptionnelle en 2010: avec un taux de 8%, elle a augmenté de 9000 milliards de dollars pour atteindre une record inégalé de 121 800 milliards. C’est 20 000 milliards de plus qu’au creux de la crise. C’est l’Amérique du Nord qui vient en première place, avec 31,3% de la richesse mondiale, suivi par l’Europe (29%). L’Asie-Pacifique vient loin derrière, mais c’est elle qui connaît la croissance la plus élevée avec un taux de 17,1%. Le montant de ce patrimoine mondial qui serait détourné vers les paradis fiscaux s’élèverait, selon ce rapport, à 7800 milliards de dollars, une croissance de 4% sur l’année précédente. Mais on verra dans le présent numéro que les estimations du Tax Justice Network (TJN) sont encore plus élevées. La crise économique n’a pas atteint tout le monde de la même manière. Aux États-Unis, des millions de personnes ont perdu leur emploi ou leur logement, tandis que des millions d’autres devaient prendre un deuxième emploi pour pouvoir boucler leur fin de mois. En Europe, l’insoutenable politique de rigueur imposée par la droite va replonger l’économie européenne dans la récession, avec tout ce que cela comporte de misère humaine. Mais à l’opposé, une minorité de personnes va continuer à s’enrichir et à éviter de payer sa juste part au bien commun. Cela est possible, en bonne partie, parce qu’il existe des paradis fiscaux qui placent le secret bancaire au-dessus du bien commun. Présentation des contributionsLa première contribution de ce numéro nous vient de José Gayoso, membre d’Attac-France et d’Attac-Rouen. Il nous offre une présentation globale de la problématique des paradis fiscaux en termes de définition de cette entité juridique, de leur nombre et d’une estimation globale de leurs avoirs. Pour Gayoso, il est clair que les paradis fiscaux sont directement liés au commerce international: l’accélération de la globalisation de l’économie et du système financier ainsi que la tendance à la déréglementation des échanges conduisent nécessairement à ce phénomène de délinquance fiscale des possédants, de l’oligarchie financière. Dans ce contexte, la révolution des TIC aura permis une augmentation sans précédent du problème. Critique des tentatives du G8 et du G20 de trouver de véritables solutions à ce problème, l’auteur conclut sur la nécessité de construire un nouveau modèle qui serait l’antithèse de ce capitalisme ultralibéral: un monde économe, pacifique et solidaire. La présentation suivante est de Gilles L. Bourque. Cette contribution porte sur les nombreuses initiatives adoptées par le gouvernement conservateur de Stephen Harper qui nuisent à la lutte contre l’évasion fiscale au Canada. Malgré des déclarations du ministre des Finances Jim Flaherty, qui déclarait qu'il fallait veiller à ce que chacun paie sa juste part et qui critiquait le fait que certaines sociétés étrangères et canadiennes profitent de règles fiscales pour se soustraire à l'impôt, les initiatives prises par ce ministre et par ce gouvernement conduisent plutôt à faciliter l’évasion fiscale. L’auteur présente ces initiatives (le traité de libre-échange avec le Panama, les accords d’échange de renseignements fiscaux ainsi que de nouvelles dispositions contenues dans le budget conservateur de 2010) et leurs impacts sur la capacité gouvernementale de contrôler l’évasion fiscale. Dans sa contribution, Claude Vaillancourt, d’ATTAC-Québec, aborde les enjeux conjoints, en apparence improbables, des accords commerciaux et des paradis fiscaux. Lorsque, nous dit l’auteur, les juristes des grandes entreprises combinent les «avantages» de l’un et de l’autre, les répercussions sur l’ensemble de la société sont importantes et il devient nécessaire d’en prendre la mesure. Il le fait de manière magistrale en s’appuyant sur plusieurs cas concrets et sur les deux accords commerciaux que le Canada a conclus avec des paradis fiscaux: le Costa Rica et le Panama. Si, en plus, ces traités incluent des traités bilatéraux sur l’investissement (TBI), les effets sont encore plus nuisibles. Pour l’auteur, il serait impératif de mettre fin aux TBI et aux dispositions sur l’investissement dans les accords commerciaux, suivant ainsi l’exemple de l’Australie qui a décidé de ne plus inclure ce genre de disposition dans les accords qu’elle négocie. En complément à sa contribution principale, Claude Vaillancourt présente dans un court texte le problème assez incontournable de l’omerta des spécialistes sur le sujet. On comprend aisément le silence des personnes directement concernées par l’évasion fiscale. Mais celui des experts est injustifiable. Dans cet encadré, l’auteur exprime son profond embarras devant cette barrière du silence. Également d’ATTAC-Québec, Alain Deneault fait porter sa contribution sur l’absence de volonté publique, tant à Québec qu’à Ottawa, de trouver de véritables solutions à ces échappatoires fiscaux. Pour remédier à leurs pertes de revenus, nous dit-il, les gouvernements évitent de s’enquérir des stratagèmes par lesquels multinationales ou détenteurs de grandes fortunes contournent le fisc. Pour preuve: la dernière étude que le ministère québécois des Finances a menée pour évaluer les pertes que le Trésor public subit du fait de l’évasion fiscale remonte à 2005 et, comme les autres auparavant, elle a été conçue de façon à maintenir le problème de l’évasion fiscale dans un point aveugle, se limitant aux fraudeurs de la classe moyenne ou du petit commerce ainsi qu’aux acteurs attendus de la délinquance stéréotypée. Alain Deneault fait néanmoins un large survol des études sur le sujet, empruntant au passage aux auteurs hétérodoxes qui n’hésitent pas à remettre en cause les idées reçues de la pensée économique dominante. Alain Deneault nous offre lui aussi un bref encadré en complément à sa contribution principale. Dans maints pays du monde, nous dit l’auteur, l’abondante publication d’ouvrages sur les paradis fiscaux témoigne de l’évolution redoutable du problème des places financières offshore. Il nous présente près d’une dizaine de ces ouvrages en signalant leurs avantages respectifs. Une très utile bibliographie commentée pour ceux qui veulent en savoir plus. L’avant-dernière contribution nous provient de Dennis Hawlett, coordonnateur pour l’organisation «Canadiens pour une fiscalité équitable». Sa contribution resitue le problème des paradis fiscaux dans le cadre plus large des finances publiques canadiennes et des injustices fiscales qui s’y développent depuis la crise financière de 2007. Refusant la logique des politiques de rigueur de la plupart des gouvernements, qui ne s’intéressent qu’à la dimension «dépense» des finances publiques, l’auteur suggère qu’une partie des solutions doit nécessairement passer par des mesures pour augmenter les revenus fiscaux. Parmi ces mesures, Hawlett réclame d’éliminer la multitude d’échappatoires qui permettent aux entreprises et aux plus fortunés de ne pas payer leur juste part, dont les paradis fiscaux et l’évasion fiscale, qui à eux seuls représentent le double du déficit budgétaire du Canada. Le numéro se clôt avec la solide contribution de Nicholas Shaxson, collaborateur au Tax Justice Network. L’auteur nous présente l’autre face cachée des paradis fiscaux: leur contribution à la crise financière de 2007. Reposant sur le principe absolu du secret, les paradis fiscaux ne sont pas seulement des lieux d’évitement du fisc, nous dit-il; ils sont aussi des lieux d’évasion qui permettent de court-circuiter la réglementation financière, le code criminel, l’examen démocratique et toutes les autres règles d’une société de droit. Les paradis fiscaux sont devenus l’arme des financiers pour libéraliser les marchés et pour s’opposer aux réformes qui auraient pu les «re-réglementer». En dessinant pour nous la véritable géographie de l’univers offshore, Nicholas Shaxson conclut ce dossier sur une note d’urgence: le pessimisme n’est pas justifié puisqu’un vrai changement reste possible. |
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