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Sommaire
Volume 3, no 1
Le viellissement et les services de santé : une réorientation des pratiques cliniques plutôt qu'un défi économique

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Le viellissement et les services de santé : une réorientation des pratiques cliniques plutôt qu’un défi économique [1]


Louise Lafortune, François Béland et Howard Bergman


Introduction

La capacité des systèmes sociosanitaires à répondre aux besoins d’un nombre croissant de personnes âgées est un des enjeux au cœur du débat sur la pérennité du financement public en santé. La rhétorique dominante, souvent alarmiste, attribue au vieillissement démographique une part importante de la croissance des dépenses de santé. Elle est nourrie, entre autres, par le stéréotype d’une population âgée caractérisée par un mauvais état de santé, ou tout au mieux par la fragilité. Le «bon sens» commun en conclut que l’augmentation du nombre et du pourcentage de personnes âgées doit se traduire par une pression intenable sur le système public (Gee 2000). Pourtant, l’âge en soi contribue peu à l’augmentation des dépenses de santé. D’une part, les coûts des services médicaux et hospitaliers semblent liés aux affections chroniques graves et à l’approche du décès plutôt qu’à l’âge (Payne 2007). D’autre part, la fragilité, les incapacités et la dépendance augmentent surtout les coûts des services de longue durée (SLD) qui, au Canada, ne sont que partiellement couverts par les programmes publics d’assurance (Berta 2006). Ces observations traduisent un fait que l’on a tendance à oublier: l’accroissement du nombre de personnes âgées détermine en partie l’impact du vieillissement sur les dépenses publiques de santé, mais la relation entre l’état de santé des personnes âgées et les moyens utilisés pour répondre à leurs besoins est le véritable moteur de l’augmentation des coûts.

L’état de santé des personnes âgées est hétérogène et toute la population âgée n’utilise pas tous les services de santé. En effet, quoique le vieillissement de la population s’accompagne d’une proportion accrue de personnes qui ont une maladie chronique et des signes de fragilité, la majorité d’entre elles ne déclarent pas d’incapacité (Saucier 2001). La forte utilisation des services sociaux et de santé se concentre donc dans une portion restreinte de la population âgée. Typiquement, les personnes qui requièrent le plus de services ont des problèmes de santé chroniques ponctués d’épisodes de problèmes aigus qui, lorsqu’ils se manifestent dans un contexte d’isolement social et de difficultés économiques, amplifient leurs conséquences et augmentent le recours aux programmes médicaux et sociaux (Bergman 1997). Au-delà du suivi médical régulier des affections chroniques, le point de bascule pour l’utilisation et les coûts des services se situe là où la multichronicité s’accompage de limites fonctionnelles et d’incapacités. À ce point, la prestation de services appelle une approche multidisciplinaire qui puisse répondre aux multiples besoins médicaux et sociaux. Plus la situation est complexe, plus elle crée une interdépendance des services qui proviennent des programmes publics, du secteur privé, et aussi des familles et des proches qui offrent la plus grande partie du soutien que ces personnes requièrent.

Dans le système québécois de santé, le point d’ancrage des défis du vieillissement se situe à la jonction des besoins complexes des personnes âgées, de la prestation et du financement des services. En dépit des réformes mises en place, le décalage existe toujours entre l’organisation, le financement, la prestation de services axés sur le court terme et le curatif, et les besoins continus de prévention, de guérison et de maintien des personnes âgées fragiles et dépendantes. La question que l’on pose est la suivante : quel modèle d’organisation et de financement faut-il mettre en place pour répondre aux besoins de cette population? Les solutions préconisées consistent à compléter l’architecture du système par une meilleure intégration des services sur tout le continuum de soins et de soutien et par un financement élargi des services de soins de longue durée. 

La mythologie des services à domicile

Placées devant les changements démographiques et les pressions fiscales, les sociétés développées ont déployé depuis 25 ans une variété de stratégies qui favorisent les soins à domicile et limitent l’hébergement médicalisé (Merlis 2000). En dépit d’une première vague de résultats mitigés, les évaluations ont montré que les soins à domicile réduisent l’hospitalisation et l’hébergement (Hollander 2007; Hughes, 1997). Une étude de la rentabilité des soins à domicile au Canada a toutefois démontré qu’elle varie selon que l’on parle des soins de courte ou de longue durée (Hollander 2002). D’une part, les soins à domicile de courte durée comme substitut à l’hospitalisation ne sont pas nécessairement moins chers et leur impact sur les résultats de santé sont incertains. D’autre part, les services de maintien et de soutien à domicile sont moins coûteux, plus efficaces et avantageux que l’hébergement médicalisé (Hollander 2002; Hughes 1997).

Plusieurs groupes de travail ou commissions gouvernementales sur la santé ont proposé de renforcer les services à domicile de courte durée pour contrôler les coûts (Romanow 2002; MSSS 2003; McAdam 2000; Clair 2000). Le continuum de services de longue durée pour les personnes âgées fragiles ou avec incapacités a soulevé moins d’intérêt, bien qu’il soit le plus à même de répondre judicieusement à leurs besoins et de diminuer l’utilisation des services institutionnels. On l'invoque dans les discours sur le poids du vieillissement sur les finances publiques, mais il se retrouve rarement dans les énoncés de solutions (Berta 2006, Duncan 2006, Motiwala 2005). On doit dire, cependant, qu’au Québec, la Commission Clair a proposé l’implantation d’un système intégré de services pour les personnes âgées fragiles qui donnait une large place à ces services (Clair 2000) – sans que suite soit donnée à cette recommandation.

Il ne suffit cependant pas d’ajouter des services à domicile à un réseau de services fragmentés. On doit tenir compte du fait qu’il est difficile de réaliser des substitutions judicieuses des services institutionnels par des services de proximité lorsque ceux-ci ne font pas partie d’un système intégré plus large au sein duquel les incitations et les mécanismes de coordination sont en place pour les favoriser. Les gains d’efficience, de qualité et d’équité viendront de la mise en place de pratiques organisationnelles, financières et cliniques qui favorisent une réponse coordonnée aux besoins des personnes âgées, notamment les plus fragiles.

De la fragmentation à l’intégration des services

Les réponses probantes aux besoins des personnes âgées exposées à des risques sanitaires et sociaux multiples sont caractérisées par l’interdépendance des intervenants, des milieux de soins et des sources de financement. La nécessité d’intégrer diverses sources et types de services s’impose au moment même où ces personnes ont perdu les capacités physiques et cognitives pour l’entreprendre. Dans ce contexte, la mobilisation judicieuse des ressources exige une bonne communication et la flexibilité qu’un système fragmenté peut difficilement assurer. La fragmentation crée des incitations financières et des frontières organisationnelles qui entravent l’utilisation des moyens les plus adaptés et les moins coûteux. Cela se manifeste, entre autres, par un recours aux services en établissement encore trop fréquent; par une sous-utilisation du soutien à domicile; par un nombre important de patients en attente d’hébergement médicalisé dans les hôpitaux de courte durée avec comme effet la réduction de l’accessibilité; et le débordement à l’urgence (Bergman 1997). Pour ces personnes, la solution consiste à changer le type de services qu’elles utilisent et la façon dont ils sont offerts. Le concept d’intégration est au cœur de cette démarche.

Les systèmes intégrés: le poids des données probantes

L’intégration des services peut être définie de la manière suivante (Béland 2010):
« L’intégration est une conjonction de services sociaux et de santé qui vise à répondre aux besoins des personnes âgées fragiles; elle est conçue pour aligner les incitations et modalités financières, administratives et de gestion clinique sur les pratiques cliniques d’une équipe responsable de la santé et de la prestation des services. »

En pratique, les différentes conjonctions de services se traduisent en quatre types d’association: la coopération, la collaboration, la coordination et l’intégration (Béland 2006a). Si on les place sur un continuum (voir le tableau 1), on comprend que la coopération implique une entente sur les objectifs; la collaboration y ajoute des ententes sur les ressources et les contrôles. Pour la coordination, les ententes s’étendent sur les processus de décision. Et enfin, l’intégration se réalise avec un alignement de l’offre de soins, de la gestion et du financement.

Tableau 1 - Formes d’association (Béland 2006a)

tableau

Plusieurs expériences ont été mises de l’avant pour évaluer l’efficacité et la performance des systèmes de soins intégrés pour les personnes âgées fragiles. Bien que peu de programmes de services intégrés pour personnes âgées atteignent l’idéal que représente l’intégration, les données probantes sur l’efficacité des différentes formes d’associations sont de plus en plus concluantes. Dans certaines conditions, la coordination et l’intégration ont un impact favorable sur l’utilisation des services, les coûts, la qualité de soins, la satisfaction et les effets sur la santé (Béland 2006b, Hollander 2007, Johri 2003, Kodner 2006).

L’expérience-mère des programmes intégrés pour personnes âgées avec incapacité grave est On Lok, localisée dans un quartier chinois de San Francisco (Yordi 1985). Le but de ce programme est de maintenir à domicile le plus longtemps possible des personnes admissibles à l’hébergement médicalisé. Il est responsable de la prestation et du financement de l’ensemble des services médicaux et sociaux, en établissements et de proximité. Les éléments pivots en sont le financement par capitation, la gestion de cas, une équipe interdisciplinaire qui assure les services médicaux et sociaux dans un centre de jour. Bien qu’aucun n’effet n’ait été observé pour les hospitalisations, les adhérents ont reçu plus de services de proximité, ont été moins hébergés et ont bénéficié de coûts totaux inférieurs de 21% à ceux du groupe témoin (Yordi 1985). Inspiré de On Lok, PACE (Mui 2001) repose sur les mêmes éléments clés avec en plus la pleine intégration des médecins de famille. L’évaluation a démontré que, comparativement à un groupe de personnes âgées qui a refusé l’adhésion, les coûts assumés par le programme public d’assurance santé  américain pour les personnes âgées «Medicare» ont diminué (5-10%) pour les participants PACE malgré l’absence de réduction de l’hospitalisation et de l’institutionnalisation (Chatterji 1998).

De multiples autres expériences d’intégration des services aux personnes âgées ont eu lieu au cours des années 1980 et 1990, trop nombreuses pour être répertoriées ici (Béland et Hollander 2011). Rappelons les expériences de Rovereto et de Vitterio-Veneto en Italie (Bernabei 1998; Landi 2004) qui visaient à intégrer les soins de proximité. Le projet Darlington en Angleterre visait aussi l’intégration des services de proximité et avait comme objectif spécifique de garder les individus très fragiles dans la communauté (Challis 1991a). Enfin, PROCARE en Europe a procédé à l’évaluation d’une gamme d’expériences de coopération, de collaboration, de coordination et d’intégration des services dans sept pays européens (Billings et Leichsenring 2005). La diversité des expériences et des résultats rend difficile de conclure simplement sur ces expériences. Plus les systèmes de départ sont fragmentés, plus sont intéressants les projets les moins complexes. Arrive cependant un moment où, d’une part, la fragmentation d’un système complexe rend difficile l’implantation d’une véritable intégration et où, d’autre part, cette intégration devient de plus en plus nécessaire pour une offre de services de qualité aux populations âgées avec incapacités graves.

Les expériences québécoises

Au Québec, un seul projet de démonstration a porté sur l’intégration des services aux personnes âgées avec incapacités graves : le projet SIPA (Système intégré pour personnes âgées en perte d’autonomie) implanté dans deux quartiers de Montréal (Béland 2006b, Bergman 1997). SIPA a été  implanté comme un service de proximité avec des assisses dans les services sociaux et de santé de première ligne.

Le projet SIPA propose un modèle de coordination fonctionnelle avec l’intégration des intervenants et de leur pratique clinique comme fondement mobilisateur. On retrouve donc une équipe multidisciplinaire qui détient la responsabilité des aspects cliniques, organisationnels et financiers de l’ensemble des services sociaux et de santé pour une population définie. Elle s’appuie sur un modèle clinique de gestion de cas et des protocoles interdisciplinaires qui intègrent l’intervention médicale, sociale et de soutien. L’évaluation avec devis expérimental a démontré que l’application du modèle SIPA permet aux intervenants de rejoindre les personnes plus vulnérables (par exemple, les personnes vivant seules) et d’apporter une nette amélioration à l’accessibilité et à l’intensité des interventions de proximité. Les actions coordonnées de l’équipe multidisciplinaire se sont traduites par une réduction significative (33%) des journées d’hospitalisation en soins aigus pour personnes avec incapacités modérées et graves, et une réduction de 50% du nombre de personnes en attente dans un hôpital de courte durée d’une place en hébergement. Des analyses plus fines de l’expérience SIPA ont démontré que les services intégrés ont aussi réussi à diminuer la nécessité de l’hébergement médicalisé chez les personnes moins affectées de maladies chroniques chez celles qui vivent seules. L’investissement plus intense dans la communauté a été compensé par la réduction des coûts des services hospitaliers (Béland 2006b; Bergman 1997).

Un second projet de démonstration a proposé la coordination entre établissements. Le programme PRISMA (Programme de recherche sur l’intégration des services de maintien de l’autonomie) a été implanté dans les Bois-Francs (PRISMA Bois-Francs) et en Estrie (PRISMA-Estrie) (Tourigny 2004; Hébert 2003). 

PRISMA combine un ensemble d’éléments organisationnels, mais surtout promeut l’utilisation d’instruments de gestion des services aux personnes âgées en perte d’autonomie. Les résultats de PRISMA ont montré que la coordination aide à maintenir l’autonomie et la satisfaction des personnes âgées sans augmenter les coûts du système. Le modèle PRISMA prévient la perte d’autonomie et rend plus judicieuse l’utilisation des ressources, particulièrement les services d’urgence (Hébert 2003).

Globalement, PRISMA et SIPA indiquent qu’il est possible d’améliorer l’efficience du système en changeant la configuration d’utilisation des ressources sans toutefois augmenter les coûts totaux par personne ni le fardeau des aidants. Il est intéressant de remarquer que les résultats des projets québécois (PRISMA et SIPA) ont été atteints sans financement par capitation et sans la pression exercée par la responsabilité populationnelle. Ces deux éléments sont des moyens et des incitations puissants à la disposition des systèmes intégrés de services aux personnes âgées fragiles pour rationaliser les pratiques, orienter les actions et mobiliser les ressources (Béland 2006a).

Les leçons des projets d’intégration des services

Ces observations illustrent que, malgré les différences importantes dans leur conception, les programmes de soins intégrés qui reposent sur l’intégration ou la coordination de la pratique clinique, des intervenants et de la gestion permettent de rediriger les configurations d’utilisation des services institutionnels vers les services de proximité (Béland 2006b, Johri 2003, Kodner 2006). À l’inverse, les projets qui reposent seulement sur la gestion de cas isolés, tels que Chanelling (Martin 2004) et Social and Health Maintenance Organization (S/HMO) (Harrington 1991), n’ont pas démontré ces résultats. L’intégration et la coordination semblent donc être les formes minimales d’association nécessaires pour récolter les effets des systèmes intégrés.

Les personnes âgées pour lesquelles les effets de l’intégration sont les plus significatifs ont des incapacités fonctionnelles graves, elles sont hautement fragiles et présentent un risque élevé de recours à l’hébergement et à l’hospitalisation. Ces résultats concordent avec ceux des études qui montrent que pour les personnes les plus à risque d’institutionnalisation, les services à domicile ont le potentiel de générer des économies substantielles à moyen et long terme (Hollander 2007, Leutz 1999). Ce risque social devrait être considéré comme critère d’admissibilité des personnes âgées aux programmes de services intégrés.

Les responsables des pratiques cliniques des services intégrés doivent garantir toute la gamme des services sociaux et de santé nécessaire aux personnes âgées fragiles peu importe où la personne se trouve. En effet, la continuité, la cohérence et l’intégration des actions des différents intervenants sont attribuables à la mobilisation rapide des ressources et à la flexibilité des interventions assurées conjointement par des gestionnaires de cas et des équipes multidisciplinaires. Les structures organisationnelles et les modalités de financement doivent permettre cette fluidité. L’organisation et le financement sont donc au service de la pratique clinique, pas l’inverse.

La réforme des services sociosanitaires de 2003 au Québec ouvre, en théorie, des perspectives intéressantes pour favoriser l’intégration des soins pour les personnes âgées en perte d’autonomie (MSSS 2004). Cette réforme se fixe sur des aspects des systèmes intégrés de services qui favorisent leur performance, soit la responsabilité de la santé et de la prestation des services sociosanitaires de la population qui réside sur un territoire déterminé et la définition des personnes âgées comme l’un des groupes cibles. Cependant, la réforme de 2003 a fait une obsession des fusions d’établissements et des changements aux structures organisationnelles, sans qu’ils soient accompagnés d’une réflexion sur les modalités de financement et surtout sur les transformations des pratiques cliniques. Et ce, malgré une certaine rhétorique qui a fleuri sur la notion de « modèles cliniques » (Ministère de la Santé et des Services sociaux 2004).

Le financement d’un nouveau risque social

Ce n’est pas tout d’offrir des services sociaux et de santé intégrés aux personnes âgées avec incapacités et atteintes de multiples maladies chroniques. Encore faut-il en assurer l’accès financier.

La Loi canadienne de la santé, à la base du système universel et public d’assurance santé au Canada, ne couvre que les services médicaux et hospitaliers. Tous les autres services de santé, des services infirmiers à domicile aux services dentaires, sont exclus de la loi. Les transferts fiscaux et de points d’impôt du fédéral vers les provinces aux fins de la santé ne visent donc que les services médicaux et hospitaliers. Les provinces restent les seuls maîtres du financement et du développement des autres services de santé. Elles se sont toutes engagées, d’une façon ou d’une autre, dans les services de soutien aux personnes âgées avec incapacités graves, investissant surtout dans deux types de services de longue durée, soit les services à domicile et l’hébergement. Puisque ces services sont exclus de la Loi canadienne de la santé, les provinces ont pu librement et sans menace de sanctions fédérales imposer des tarifs divers et favoriser le développement du secteur privé dans le financement et la prestation des services de longue durée.

Que doit-on faire pour améliorer l’accès à des services de longue durée de qualité tout en assurant l’équité et l’efficience? Plusieurs pays – dont le Danemark (Stuart 2001), l’Allemagne (Evans-Culler 2000, Arntz 2007), le Japon (Campbell 2003), l’Espagne (Coste-Font 2006) et la Hollande (Portrait 2000) – ont opté pour une couverture universelle des services de longue durée, plus ou moins généreuse. Afin d’assurer l’équité dans la prestation de service (i.e. services égaux à besoins égaux), des critères établis à l’échelle nationale et des évaluations individualisées des besoins sont utilisés dans tous les pays où la couverture est universelle. Les mécanismes de financement sont soit à prédominance fiscale (taxes générales et locales), soit de sécurité sociale (provenant des contributions salariales des employeurs et des employés). En somme, tous les programmes universels exigent une contribution des contribuables qui – bien qu’elle soit liée au revenu – n’est pas liée aux besoins ni aux avantages utilisés par les individus.

Les pays qui ont implanté des systèmes publics de financement et de prestation des services de longue durée font face à des défis majeurs. Mais les administrations publiques ont la capacité de les affronter et de les adapter aux exigences du vieillissement de leur population. C’est le cas, entre autres, des programmes de l’Allemagne et du Japon qui, plusieurs années après leur implantation, et malgré des difficultés à contenir les coûts, ont toujours le soutien public et politique (Brunelle 2004, Campbell 2003, Evans-Cuellar 2000). Tous les défis ne sont pas financiers. Mentionnons celui de l’interface entre les services médicaux, les services sociaux et les services informels.

Tous les pays qui ont opté pour une couverture universelle des services ont augmenté les ressources allouées aux services de longue durée, mais les politiques les plus efficaces ont permis, par des incitations financières, une redistribution des sommes provenant des autres secteurs du système de soins, notamment des services institutionnels, vers les services de proximité – comme le projet SIPA en a démontré la possibilité au Québec. L’accroissement des coûts des systèmes publics d’assurance des services de longue durée provient en partie de l’augmentation du nombre de bénéficiaires, mais les modalités d’organisation et de financement de ces services sont aussi en cause. Par exemple, l’opération en parallèle des fonds d’assurance santé d’une part et des fonds d’assurance de services de longue durée d’autre part incite le transfert des patients des services médicaux et hospitaliers vers les services de longue durée, et réciproquement. Comme le montre le cas allemand, le débat est ouvert sur les changements à opérer pour assurer la pérennité des systèmes d’assurance des services de longue durée (Arntz 2007).

De quels types de solutions parle-t-on?

Un continuum de stratégies organisationnelles, financières et cliniques complémentaires existe pour améliorer l’efficience du système de santé et assurer sa pérennité dans le contexte du vieillissement de la population. Ces solutions permettent de compléter l’architecture du système public de santé afin qu’il soit à même de s’ajuster aux besoins d’une relative minorité de personnes âgées qui nécessitent une combinaison, parfois complexe, de soins et de soutien. « Ce qui est en jeu n’est pas une fatalité démographique ou épidémiologique, mais l’adaptation des pratiques de soins à des besoins donnés, ce qui renvoie à la question générale des choix et des arbitrages à opérer dans les ressources disponibles » (Polton 2006).

Les programmes ou réseaux de soins intégrés ont démontré leur valeur ajoutée pour les personnes âgées exposées à des risques sanitaires et sociaux multiples. Ils permettent de mobiliser plusieurs établissements et intervenants par une combinaison de mécanismes de coordination et d’incitations organisationnels et financiers. À la lumière des barrières liées à la transformation des réalités professionnelles et locales, la réalisation du plein potentiel des systèmes de soins intégrés est toutefois contingente d’un financement et de modalités organisationnelles qui prennent en compte les aspects sociaux et médicaux des besoins des personnes âgées et des régimes d’assurance public.

Les programmes d’assurance universelle de services de longue durée s’inscrivent dans les réformes des systèmes publics de santé qui privilégient l’utilisation flexible des services de proximité. Combinés, les programmes de soins intégrés et la couverture des services de longue durée favorisent un continuum de services individualisés en rétablissant la cohérence des actions des différents intervenants, organismes, établissements et sources de financement. Ils permettent aussi de faire une plus grande place aux principes de prévention sur lesquels repose la réforme des soins primaires, tant au Québec que dans le reste du Canada. Enfin, ils offrent le potentiel d’intervenir en amont des conséquences de la fragilité et des maladies chroniques en ouvrant la porte à une panoplie d’interventions cliniques et sociales qui ont démontré leur efficacité à améliorer la qualité des soins, l’état de santé, la satisfaction et les coûts mais qui demeurent sous-utilisées (Markle-Reid 2003).

Ce qu’il faut comprendre c’est que ces solutions sont interdépendantes. La façon dont les systèmes de soins sont organisés et structurés ont des impacts importants sur l’efficacité et l’efficience des pratiques. Les modes et les incitations financiers sont intrinsèquement liés à la capacité à réaliser l’intégration. Ainsi, il faut à la fois un alignement clinique, organisationnel et financier doublé d’un alignement des services médicaux et sociaux. Ces deux formes d’intégration sont essentielles à l’achèvement d’un système de soins de santé durable. Elles incitent les acteurs des secteurs médical et social à coopérer plus étroitement afin de mieux utiliser les ressources et les compétences disponibles pour améliorer l’accès, l’efficience, la continuité et la qualité des services. De meilleures coordination et intégration sur tout le continuum de soins et de services sont incontournables pour assurer aux personnes âgées l’accès à des programmes de soins performants qui utilisent des interventions efficaces tout en leur permettant de vivre dans la communauté le plus longtemps possible.

Conclusion

Réduire le rôle du secteur public dans le domaine des services de santé change la distribution du fardeau des bien-portants vers les malades, mais pas le poids total de ce fardeau qui pèse sur l’économie tout entière d’une contrée. La seule façon de réduire le fardeau total, et sa part relative, est d’améliorer l’efficience du système et de réduire, sinon le nombre, du moins le rythme d’augmentation des utilisateurs de services. Pour ce faire, il faut introduire des incitations qui favorisent l’utilisation judicieuse des ressources et l’exploitation de données probantes sur l’efficacité des interventions qui contribuent à prévenir la dépendance. Les projets de démonstration sur les systèmes de soins intégrés, les stratégies mises en place par les pays européens pour financer les services de longue durée offrent des leçons importantes à cet égard. L’implantation de solutions adaptées au contexte québécois est exigeante mais possible. Puisse la réforme de structure de 2003 permettre l’articulation de projets cliniques locaux qui complètent l’architecture du système public afin qu’il réponde aux besoins de la population. 

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[1] Cet article est un résumé du chapitre 16 de l’ouvrage François Béland, André-Pierre Contandriopoulos, Amélie Quesnel-Vallée et Lionel Robert, dir., Le privé dans la santé : les discours et les faits, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2008.

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Comment va la santé ?
septembre 2011
Le système de santé fait l'objet d'une inquiétude sociale constante. Il occupe une place importante dans le débat public. Une offensive majeure existe pour le privatiser davantage, sous le prétexte que le système public a trop de défaillances et n'est pas viable, alors qu'il nous apparaît que les solutions passent par l'approche publique.
     
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