|
|||||||||||||||||||||||||||
Volume 2, no 4 |
|||||||||||||||||||||||||||
L'impact de la crise financière sur les régimes de retraite au Québec |
|||||||||||||||||||||||||||
Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici L'impact de la dernière crise financière sur les régimes complémentaires de retraite au QuébecFrédéric Hanin (Département des relations industrielles, Université Laval)Mathieu Saint-Onge (Département de sociologie, UQAM)
La structure des régimes complémentaires de retraite et la situation avant la criseUn régime complémentaire de retraite est un « objet singulier », car il est encastré dans un ensemble de relations qui touchent la plupart des rapports socio-économiques d'une société : Il faut garder en mémoire l'ensemble de ces relations lorsqu'on s'intéresse aux régimes complémentaires de retraite, même si l'on choisit de s'attarder à certaines relations en particulier. L'hypothèse « toutes choses égales par ailleurs » est en effet rarement respectée lorsqu'on s'intéresse aux enjeux de la retraite comme question sociale. La structure d'analyse des régimes complémentaires de retraite est souvent calquée sur les enquêtes de Statistique Canada (voir la figure 1). Figure 1 : Structure des régimes complémentaires de retraite au Canada. La principale difficulté réside dans la séparation entre les données qui concernent les régimes de pension qui sont du domaine de la relation d'emploi et les données sur les caisses de retraite en fiducies qui sont du domaine financier. L'importance des régimes complémentaires de retraite peut donc être évaluée selon plusieurs indicateurs. La part des cotisations à ces régimes dans la rémunération globale est passée de 255 millions à 9,4 milliards de dollars entre 1966 et 2007. Le financement de l'ensemble des formes d'épargne-retraite représentait en 2007 environ 15 % de la rémunération globale. Le montant de l'actif réservé par les Québécois pour la retraite était estimé en 2007 à 312 milliards de dollars, dont 35 milliards pour le RRQ, 156,4 milliards pour les régimes complémentaires de retraite sous la loi RCR et 121 milliards pour les REER [2]. En 2005, 1 427 462 personnes étaient couvertes par un régime complémentaire de retraite, dont 42,7 % par un régime sous juridiction de la Régie des rentes du Québec, 36,6 % par un régime administré par la CARRA et 20,7 % par un régime sous juridiction fédérale ou d'une autre province. Les revenus des caisses de retraite provenant des cotisations des employeurs et des employés ont atteint près de 34,5 milliards de dollars en 2008, tandis que les prestations versées aux retraités se sont établies à environ 38,5 milliards. Sur une longue période on observe d'importantes fluctuations de l'écart entre le niveau des cotisations et le niveau des prestations (voir la figure 2). Figure 2 : Évolution des cotisations et des rentes des caisses de retraite entre 1993 et 2008 (millions $). Source : Statistique Canada. Du montant total des cotisations, 22,2 milliards de dollars provenaient des cotisations patronales, alors que 12,3 milliards de dollars provenaient des cotisations salariales. En 2008, le taux des cotisations patronales sur l’ensemble des cotisations était de 64 %. Ce pourcentage marque une baisse de 2% par rapport à l’année précédente et une baisse de 5 % par rapport à l’année 2006. L'impact de la crise financière sur l'actif des régimes de retraiteD’entrée de jeu, les principaux indices disponibles caractérisant la situation globale des caisses de retraite au Québec depuis 2007 tendent à démontrer deux choses : que les pertes encourues à travers la crise sont majeures, et que les caisses de retraite semblent avoir constitué l’angle mort des plans de sauvetage financiers. En effet, si les pouvoirs publics ont investi des sommes impressionnantes pour acheter des actifs du secteur bancaire et financier au Canada (achat de prêts hypothécaires des banques pour un montant de 58 milliards, un encours de prêts qui a atteint un sommet de 41 milliards de dollars en décembre 2008), les régimes de retraite, principaux gestionnaires de la dette sociale, n'ont pas eu le droit au même degré d'attention. Ils ont subi de plein fouet les impacts de la crise financière. L'indice de Mercer sur le ratio de capitalisation moyen des régimes de retraite au Canada est passé de 110 en 1994 à près de 60 à la fin de 2008. Les gouvernements ont annoncé l'injection de milliards de liquidités à travers la politique budgétaire mais ils n'ont pas cherché à protéger l'épargne-retraite des familles canadiennes. Au Canada, à la fin du second semestre 2008, la valeur des actifs des caisses de retraite d'employeurs qui emploient environ 4,8 millions de personnes a diminué de 140,8 milliards de dollars pour s'établir à la fin de l'année 2008 à 810,9 milliards de dollars, soit une réduction de 15 % par rapport au sommet de 2007. À la fin du premier trimestre 2009, les caisses de retraite avait perdu au Canada un montant supplémentaire de 19,8 milliards de dollars. Par rapport au quatrième trimestre de 2008, les cotisations ont baissé d'environ un milliard, les revenus de placement de 3,272 milliards et les pertes nettes sur la vente des titres s'élèvent à 17,290 milliards de dollars. Au premier trimestre 2009, les obligations représentaient 38,4 % de la valeur des actifs des caisses de retraite en fiducie, les actions 31,1 % et les autres placements 15,9 % (hors hypothèques, immobilier et actifs à court terme). Au 31 décembre 2008, pour l'ensemble des régimes de retraite membres de l'association canadienne des gestionnaires de caisses de retraite qui gèrent un actif dont la valeur marchande est de 798,1 milliards de dollars, la part des placements en obligations et en actions canadiennes était de 42,54 %. C'est généralement la seule mesure du niveau de placement domestique que l'on peut obtenir pour l'ensemble des caisses de retraite au Canada ou au Québec. Au Québec, un rapport de la Trade Union AC, auprès de l'OCDE en mars 2009, mentionne que la Régie des rentes estime que la proportion de régimes sous-financés au Québec est de 95 %. Le montant du sous-financement représentait après la crise une proportion de 25 % de la masse salariale. Plus de 30 % des régimes estiment qu'à la prochaine évaluation actuarielle, le montant d'amortissement des déficits représentera plus de 30 % de la masse salariale. Le degré de solvabilité médian des régimes de retraite sous la surveillance de la Régie des rentes du Québec est passé de 96 % à 69 % durant l'année 2008. Mais on ne connaît pas le montant des pertes d'actifs pour les caisses de retraite des principaux employeurs au Québec. L'évaluation de la situation des régimes complémentaires de retraite au Québec a consisté à construire une base de données à partir du régime d'emploi sur la base de l'échantillon des principaux régimes de retraite. Au départ, cette base de données a été construite en appareillant les principaux employeurs du Québec avec les principales caisses de retraite que l'on retrouve dans les classements effectués par les journaux professionnels. Par la suite, certaines données des rapports annuels des sociétés ont été intégrées. Plusieurs constats peuvent être avancés malgré des données incomplètes au stade actuel de la recherche. Premier constat, les employés de la province participent à des régimes de retraite dont le montant de l'actif est de près de 210 milliards de dollars. Le montant de la valeur des actifs des régimes de retraite des principaux employeurs au Québec est très inégal, allant de 0$ pour CGI à 26,3 milliards pour Rio Tinto. Des employeurs ayant sensiblement le même nombre d'employés peuvent avoir des régimes de retraite d'une valeur de 604 millions de dollars à près de 2 milliards pour des employeurs dans le même secteur. Second constat, parmi les 37 plus importants employeurs au Québec, 5 employeurs ne fournissent pas d'informations sur la situation actuelle des régimes de retraite pour leurs employés : Saint-Hubert, Garda, Air Canada, IBM Canada et Pratt & Whitney. Troisième constat, les informations sur les régimes à cotisations déterminées sont pratiquement inexistantes, ce qui rend très difficile l'évaluation d'ensemble de la situation des régimes complémentaires de retraite pour les employés au Québec, notamment dans le cas de régimes hybrides ou de régimes à prestations déterminées fermés aux nouveaux employés qui ont accès uniquement à un régime à cotisations déterminées. La liste des plus importants employeurs au Québec et des régimes de retraite est présentée dans la figure 3. Figure 3 : Situation des plus importants régimes complémentaires de retraite au Québec en 2008 selon le lien d'emploi.
Source : Auteurs. Ce tableau permet de constater que les plus grands employeurs n'ont pas nécessairement les régimes de retraite les plus importants. Des analyses complémentaires devraient être menées pour déterminer les facteurs qui expliquent cette absence de corrélation automatique entre le niveau de l'emploi et la taille des régimes de retraite. Par ailleurs, les employés au Québec ont des intérêts financiers qui dépassent la comptabilité effectuée à partir de la région d'agrément du régime de pension. Il faudrait donc analyser les formes de représentation qui existent pour le type d'employés au Québec qui cotisent à un régime de pension avec des participants dans plusieurs provinces ou dont la gestion du régime a lieu à l'extérieur de la province. Enfin, il apparaît que la distinction entre l'industrie et le commerce qui a souvent cours en matière de régime de retraite doit être révisée au profit d'une distinction entre l'industrie-commerce et les services non gouvernementaux (hors secteur financier). Le développement de la « nouvelle économie » n'a pas conduit à une amélioration de la couverture des régimes complémentaires. Les mesures réglementaires face à la criseAu sens strict, il n'y a pas eu de mesures particulières pour éviter aux caisses de retraite que la crise financière ait des impacts trop importants sur la valeur marchande des actifs. Certaines mesures auraient pu être envisagées : avances aux caisses de retraite qui ont besoin de liquidités, prises en pension d'actifs de la part de la Banque du Canada ou des gouvernements, création d'un pool de caisses de retraite pour soutenir la valeur des actifs sur le marché, etc. Depuis le 15 janvier 2009, l’Assemblée nationale du Québec a convenu de certaines mesures législatives pour atténuer les effets de la crise financière sur les régimes de retraite : 2. Consolidation des déficits de solvabilité au 31 décembre 2008 afin de ramener l'ensemble des déficits, nouveaux et existants au moment de l'évaluation actuarielle, à un seul déficit et de réduire ainsi la cotisation globale exigée. 3. Allongement de la période d'amortissement du déficit de solvabilité de 5 ans à 10 ans. 4. Lissage de l'actif du régime sur une période de 5 ans, ce qui augmente l'actif pris en compte à la date de l'évaluation actuarielle et réduit ainsi le déficit du régime. » De plus, la Régie des rentes a acquis de nouvelles prérogatives : « Ainsi, le gouvernement se porte garant des rentes réduites pendant l’administration de la Régie et assume également, s’il y a lieu, les conséquences des mesures temporaires de financement. » Il faut noter que des mesures d'allégement des déficits de solvabilité des régimes complémentaires de retraite à prestations déterminées avaient été mises en place dès 2005. Une décision de la Régie des rentes permet de reporter la remise à la Régie de l'évaluation actuarielle pour les régimes dont l'évaluation actuarielle est faite en date du 31 décembre 2008, et ce, en attendant le règlement qui accompagne la loi du 15 janvier 2009. Le tableau suivant présente les différentes initiatives prises dans les provinces au Canada :
Source: www.aon.com/canada/fr/.../August2009Ready-FR.pdf Les mesures réglementaires prises depuis la crise financière de 2008 ne peuvent certainement pas être interprétées comme une volonté du gouvernement de réformer le système des retraites complémentaires au Québec pour augmenter sa résistance aux chocs financiers. Il semble plutôt que les décisions soient prises en réaction à des événements particuliers. Cette politique conduit à un transfert de risque de la gestion des régimes sur les cotisants actifs et les contribuables, qui devront se partager les coûts liés à la socialisation des pertes à la suite de la crise financière de 2008. En particulier, la loi votée au début de 2009 ne prend pas la mesure de la crise financière et de ses conséquences pour les régimes complémentaires de retraite au Québec. L'une des explications possibles est que la capacité de réforme du gouvernement est limitée par l'absence d'un organisme de surveillance unique des régimes complémentaires de retraite dans lesquels les cotisants au Québec ont acquis des droits. Dans ce cas, l'État conduit la population active et les retraités à « rester dans le flou » sur un enjeu social majeur, celui de la sécurité des revenus de retraite. La position du gouvernement a reposé sur la conviction qu'avec le temps, les impacts de la crise financière se résorberaient d'eux-mêmes, moyennant des modifications temporaires aux règles comptables d'évaluation de la santé financière des régimes complémentaires de retraite. Les manifestations de la crise sur les régimes complémentaires de retraiteAprès la crise financière, le régime des rentes du Québec a vu sa réserve gérée par la Caisse de dépôt et placement fondre de 9 milliards. La discussion autour du projet de réforme proposé par la Régie des rentes du Québec risque de laisser dans l'ombre des enjeux fondamentaux du régime: le régime est financé d'abord par les cotisations des employeurs et des employés et ensuite par la capitalisation réalisée à l'aide d'une réserve, ce qui veut dire que le meilleur moyen d'améliorer la santé financière du régime est de réduire le taux de chômage ou d'augmenter le maximum des gains assurables par des emplois de meilleure qualité ; la réserve d'actifs est constituée pour amortir le choc démographique et doit être réduite par la suite, ce qui veut dire que la cotisation au régime doit être indépendante des rendements financiers et le niveau de la réserve doit être assuré par l'État sur le principe du fonds d'amortissement des régimes de retraite ; le régime des rentes du Québec ne doit pas être modifié en fonction des objectifs de gestion de la main-d'œuvre du gouvernement en place, ce qui, dans la situation actuelle, signifie que les politiques publiques de retraite ont pour objectif la sécurité des revenus à la retraite et non pas l'allongement de la vie active. Dans le secteur privé, les conséquences de la crise financière peuvent prendre différentes formes. Nous développerons trois conséquences possibles à partir de situations observées au Québec. La principale conséquence concerne les pertes de revenus liés à la fermeture des régimes à prestations déterminées et l'ouverture de régimes à cotisations déterminées. L'un des impacts les plus directs de la crise financière sur les régimes de retraite, a fortiori sur les RPD, a été celui d'une crise de solvabilité et de liquidité des bilans d'organisations : de grandes compagnies ont annoncé depuis l'année 2009 leur intention de déroger à leurs obligations financières à l'égard de la capitalisation des régimes de retraite au nom des risques potentiels de faillite que le respect de ces obligations entraînerait. Le cas d'AbitibiBowater est éloquent. Le 7 mai 2009, le juge Mayrand de la Cour supérieure du Québec autorisait l'entreprise à suspendre ses obligations actuarielles à l'égard du régime de retraite au nom de la survie de la compagnie, mise sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers depuis avril 2009. Cette décision signifiait que durant tout le processus de restructuration financière couvert par cette loi, AbitibiBowater pouvait cesser de payer 13 millions de dollars par mois en « cotisations d'équilibre » à ses régimes de retraite. Sous-capitalisées à une hauteur de 1,3 milliard le 31 décembre 2008, les 33 caisses composant les régimes de retraite d'AbitibiBowater au Canada ont ainsi été laissées à elles-mêmes ; les fonds de pension canalisant l'épargne accumulée de 7500 travailleurs actifs et de 8900 retraités d'AbitibiBowater au Québec ont ainsi été mis à découvert et font partie des stratégies financières de sortie de crise de l'entreprise. La juge a sanctionné le discours de cette dernière, affirmant que les 100 millions en prêt garanti par le gouvernement du Québec ne sauraient même pas rencontrer les obligations de 160 millions pour le financement des caisses de retraite. Depuis peu, l'entente négociée a été contestée par des retraités à qui on a offert le «choix» entre une perte de 25 % par l'intermédiaire de la régie des rentes, ou bien le maintien dans le régime de l'entreprise avec un taux de solvabilité d'environ 77 %, l'entente étant que le régime doit atteindre 80 % de solvabilité avant tout versement de dividendes aux actionnaires. Conclusion : la fin du compromis fordisteLa principale conséquence de la crise financière est la fin du « compromis fordiste » qui avait permis d'ériger des régimes à prestations déterminées sur la base d'un financement largement majoritaire des employeurs pour supporter les risques avec un contrôle des paramètres du régime, les représentants des employés se chargeant principalement de négocier les bonifications au régime. La structure de base des régimes complémentaires de retraite reposait ainsi sur trois piliers complémentaires : une rente déterminée, une asymétrie des cotisations avec une contribution plus importante de l'employeur et une gestion des fonds confiée principalement à l'employeur puisqu'il supportait la majorité des risques financiers. On pouvait donc parler d'un système d'employeur-providence pour les régimes complémentaires de retraite. Ce compromis a connu plusieurs accrocs depuis les années 1980 et l'utilisation des régimes de retraite pour la gestion des ressources humaines : préretraites, réduction des mises à pied lors de la fermeture d'un établissement ou encore segmentation des régimes en fonction des catégories d'emploi. Dans les années 1990, les congés de cotisation de la part des employeurs ont contribué à fragiliser la répartition des responsabilités à la base des régimes complémentaires de retraite. La crise financière a contribué à faire éclater ce compromis. Tout d'abord, on observe une montée en puissance des régimes hybrides à la fois à prestations déterminées et à cotisations déterminées. Les régimes hybrides reposent souvent sur une retraite complémentaire sous la forme d'une rente minimale (pas toujours garantie) et généralement financée par l'employeur et des «options» (indexation, retraite anticipée, transferts, etc.) qui devront alors être financées uniquement par les employés. Ce type de régime « flexible » entérine le transfert d'une partie des risques sur le financement des employés au régime et en perdant une partie de la sécurité des revenus. La valeur des actifs des régimes hybrides et autres types de régimes enregistrés au Québec au 1er janvier 2008 était de 8,5 milliards de dollars, soit presque le double des régimes à cotisations déterminées. Ensuite, les projets de réforme du système de revenu de retraite au Canada et au Québec laissent planer le doute ou autorisent les employeurs à ne pas cotiser aux régimes complémentaires de retraite. C'est là un changement majeur dans la responsabilité sociale des entreprises. ______________________________________________________________________ [1] Cet article est une version remaniée de la note de recherche publiée par l'IREC qu’on peut télécharger en cliquant ici. |
Vous lisez présentement:
Table des matiÈres
|
||||||||||||||||||||||||||