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Sommaire
Volume 2, no 4
L'agriculture multifonctionnelle, une priorité de développement pour plusieurs régions québécoises

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L’agriculture multifonctionnelle, une priorité de développement pour plusieurs régions québécoises


Par Chantale Doucet
Doctorante en Sciences sociales et appliquées à l’Université du Québec en Outaouais
 

Introduction

Face aux enjeux territoriaux, les collectivités et les organisations de développement local sont souvent les premiers récepteurs des enjeux et des innovations sur le terrain. Ces organisations s’intéressent au développement socio-économique de leur territoire et l’agriculture n’y échappe pas. En témoigne le nombre de mémoires déposés à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois par les Centres locaux de développement, Chambres de commerce, Conférences régionales des élus, Municipalités, Municipalités régionales de comté, Sociétés d’aide au développement des collectivités, Tables de concertation agroalimentaire et plusieurs autres acteurs de la société civile. Signe qu’une diversité d’acteurs s’implique dans le devenir de l’agriculture.

S’appuyant sur une démarche partenariale, ces acteurs élaborent des planifications afin d’arrimer les priorités de développement avec les spécificités du territoire. L’agriculture y est-elle identifiée comme priorité de développement sur les territoires ? Si oui, quels types de modèle agricole encourage-t-on ?

En réponse à ces questions, nous nous sommes intéressées aux orientations agricoles adoptées comme priorité de développement dans les plans quinquennaux de développement des Conférences régionales des élus (CRÉ). Organisations œuvrant à l’échelle régionale, les CRÉ sont l’instance de concertation des partenaires du milieu et de planification du développement régional au Québec.

Dans cet article, nous vous présentons les principaux résultats de l’étude en trois temps. Nous commençons avec quelques mots sur l’exercice de planification des CRÉ et la méthodologie utilisée pour notre enquête. Les fonctions agricoles préconisées dans les orientations agricoles sont par la suite présentées. Finalement, nous discutons des orientations qui reflètent à la fois des changements sur les territoires et des obstacles au développement agricole.

Plans quinquennaux de développement des CRÉ et classification des orientations

Le Québec compte 21 CRÉ pour ses 17 régions. La région du Nord du Québec qui couvre un vaste territoire est divisée en trois CRÉ (Baie-James, Crie et Kativik) ainsi que la Montérégie depuis 2004 (Montérégie Est, Longueuil et Vallée-du-Haut-Saint-Laurent).


Le conseil d’administration est composé principalement d’élus : les préfets des Municipalités régionales de comté (MRC) et les maires de municipalités de 5000 habitants et plus. Le gouvernement recommande que la représentativité de la société civile ne dépasse pas le tiers de l’ensemble du conseil d’administration. Toutefois, plusieurs CRÉ ont mis en place des tables de concertation ou commissions qui représentent les différents milieux. En plus de jouer un rôle de concertation entre les acteurs, ces commissions et tables exercent un rôle de conseiller auprès des CRÉ et participent également à l’élaboration de la planification stratégique régionale.

La CRÉ a en effet le mandat, depuis 1992 , de réaliser un plan quinquennal de développement. Ce plan est réalisé en concertation avec les principaux acteurs régionaux et locaux du développement qui identifient des orientations qui s’arriment aux spécificités régionales. Dans plusieurs régions, les efforts déployés pour consulter les différents acteurs sont importants et adoptent habituellement les formes suivantes : tables de discussion sectorielles ou intersectorielles, forums ou journées de réflexion et de concertation, entrevues individuelles ou sondages auprès des représentants des organismes locaux et régionaux, consultations publiques avec mémoires. Ainsi, les modalités et le processus d’élaboration du plan sont libres à chaque région. Toutefois, le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT) suggère de définir une vision stratégique, des axes de développement et des objectifs de développement qui font consensus pour l’ensemble des partenaires de la CRÉ. Les planifications qui émanent de ces exercices de concertation sont en quelque sorte un cadre de référence du développement pour orienter les stratégies des acteurs sur place tout en orientant les actions du gouvernement dans la région, notamment à partir de la négociation d’ententes spécifiques.

Ainsi, vingt plans quinquennaux ont été recueillis pour la réalisation de notre enquête. Il s’agit de plans de troisième ou quatrième générations (voir tableau 1). Seul le plan de l’administration régionale Crie manque à l’appel. Situé dans un climat très nordique, il serait toutefois étonnant que cette dernière adopte des orientations agricoles.

Tableau 1 : Liste des plans quinquennaux de développement étudiés


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Plans en main, nous avons ensuite classé les principaux enjeux et orientations liés à l’agriculture en trois principales catégories : multifonctionnelle, productiviste et neutre (voir schéma 1). Afin de préciser les orientations, la catégorie multifonctionnelle a également été subdivisée en trois catégories : diversification économique, socio-territoriale et environnement.

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Des orientations agricoles principalement multifonctionnelles

D’entrée de jeu, mentionnons que l’agriculture est identifiée comme un secteur de développement important dans plusieurs régions puisque parmi les 20 plans régionaux étudiés, 17 contiennent au moins une orientation liée à l’agriculture. Ce constat est vrai pour cinq régions ressources : Abitibi-Témiscamingue, Bas-Saint-Laurent, Côte-Nord, Saguenay–Lac-Saint-Jean et même la Jamésie qui déplore ne pas être reconnue par le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) comme une région agricole à part entière. L’agriculture est également un secteur majeur dans le développement de régions urbanisées contiguës à Montréal (Laval et Longueuil) et dans les régions intermédiaires (Outaouais, Montérégie). Quoique moins nombreuses, des orientations liées à l’agriculture sont également identifiées dans les plans régionaux de l’Estrie, Lanaudière, du Centre-du-Québec et de la Vallée-du-Haut-Saint-Laurent.

Une seule orientation liée à l’agriculture apparaît dans les plans de la Capitale-Nationale, des Laurentides, de la Mauricie et de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. Il y a peu d’explications à cet égard, sauf pour la Mauricie qui fait état d’un important ralentissement de ce secteur lié à la conjoncture internationale. Des pistes de renouvellement ne sont donc pas envisagées.

Seules les régions de Montréal, du Nunavik et de Chaudière-Appalaches n’ont aucune orientation pour ce secteur. Pour les deux premières, les raisons en sont fort simples. Montréal est très urbanisée. L’importance de l’industrie bioalimentaire montréalaise, qui représente le tiers du PIB bioalimentaire du Québec et le quart des emplois, est toutefois mentionnée dans son plan. Le Nunavik est quant à lui situé dans un climat nordique où l’agriculture n’est pas viable. Quant à Chaudière-Appalaches, l’une des régions les plus agricoles du Québec, l’absence d’orientation est plutôt liée à la structure du plan qui adopte, par exemple, plusieurs orientations en matière d’entrepreneuriat sans jamais référer à l’agriculture. Nous n’avons donc pu retenir ces orientations. L’agriculture est tout de même un secteur d’importance pour cette région puisqu’elle a adopté une planification stratégique dédiée exclusivement à l’agriculture. Dans le cadre du présent exercice, nous nous sommes toutefois concentrées sur les planifications régionales.

Ainsi, nous avons relevé 63 orientations associées à l’agriculture et à l’agroalimentaire dans l’ensemble des 20 plans étudiés (voir tableau 2 et carte 1). Parmi elles, très peu (5%) font uniquement référence à la fonction marchande de production de biens, à la compétitivité et à l’exportation qui prédomine pourtant actuellement dans le modèle agricole québécois. Les rôles, fonctions et attentes que les acteurs territoriaux attribuent à l’agriculture sont multiples et différents d’une région à l’autre, encourageant de nouvelles formes d’activités. En effet, 60 % des orientations se rapportent à la catégorie multifonctionnelle.

Tableau 2 : Classification des orientations

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Parmi celles-ci, la moitié est liée à la diversification économique. Ces orientations encouragent le développement et le soutien de nouveaux créneaux agricoles ou encore la valorisation de l’agriculture biologique et du terroir (Abitibi-Témiscamingue, Baie-James, Bas-Saint-Laurent, Capitale-Nationale, Côte-Nord, Centre-du-Québec, Outaouais, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Vallée-du-Haut-Saint-Laurent). Cette diversification a souvent pour objectif la création d’avantages concurrentiels dans le commerce afin de développer la région. À cet égard, des régions ont souligné le manque de connaissances concernant les opportunités de développer le secteur agricole sur leur territoire.

La valorisation de l’achat local auprès des citoyens est également une orientation adoptée par trois régions (Lanaudière, Laval et le Saguenay–Lac-Saint-Jean) à la suite de l’observation de nouvelles tendances chez les consommateurs qui optent davantage pour des produits alimentaires locaux afin de minimiser les effets sur l’environnement et soutenir le développement local. Mais encore faut-il que les agriculteurs accèdent aux tablettes des supermarchés pour proposer leurs produits. À cet égard, deux régions (Abitibi-Témiscamingue et Longueuil) adoptent des orientations qui visent à soutenir la commercialisation. Toutefois, il n’est aucunement mentionné, dans l’ensemble des plans, de mesures qui viennent appuyer le développement de nouveaux modes d’organisation ou encore la mise en place de nouveaux réseaux de commercialisation à l’exception de l’Abitibi-Témiscamingue qui évoque les marchés publics. Par contre, trois régions (Côte-Nord, Longueuil et Outaouais) valorisent l’agrotourisme.

Les orientations marquées par une fonction socioterritoriale représentent 24 % de celles identifiées dans la catégorie multifonctionnelle. Plusieurs ont émergé à la suite des conflits d’usages observés sur le territoire. Ces tensions, que nous pouvons considérer comme un enjeu important au Québec en regard des orientations adoptées dans ces plans, apparaissent souvent dans des zones urbanisées à forte pression foncière, à proximité des villes où la cohabitation des usages agricoles, industriels, résidentiels exige des mesures pour protéger les aires agricoles (Capitale-Nationale, Estrie, Laval, Longueuil, Montérégie Est, Outaouais). Ces orientations visent à freiner l'avancée urbaine. Des conflits d’usage apparaissent également dans deux régions plus éloignées (Baie-James, Côte-Nord) principalement entre l’agriculture et la sylviculture. Dans ces conflits d’usage, la tendance qui se dégage est la préservation de la zone agricole et le désir d’une cohabitation harmonieuse venant ainsi confirmer l’importance de ce secteur pour les acteurs de ces régions.

En outre, l’agriculture est valorisée pour le rôle qu’elle exerce dans l’occupation du territoire, car elle contribue à maintenir un tissu économique et social en milieu rural (Bas-Saint-Laurent, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Vallée-du-Haut-Saint-Laurent). L’agriculture apporte également une valeur ajoutée dans le paysage de trois régions (Estrie, Laval et Outaouais), une fonction que nous aurions tout aussi bien pu inscrire en lien avec l’environnement et le développement durable.

Le terme « développement durable » revient à plusieurs reprises dans les orientations ou dans les grands axes. Il s’agit d’ailleurs d’un critère mentionné dans les directives gouvernementales pour la réalisation des plans de développement. L’environnement et le développement durable prédominent toutefois dans 24 % des orientations liées à la multifonctionnalité. Elles concernent principalement la nécessité d’appuyer les entreprises agricoles pour entreprendre un virage agroenvironnemental sans compromettre toutefois la productivité. Ce dernier est souvent perçu comme un défi auquel doit faire face l’agriculture (Abitibi-Témiscamingue, Outaouais, Longueuil).

Les entreprises agroenvironnementales constituent un créneau d’importance pour la région du Bas-Saint-Laurent qui n’hésite pas à conjuguer le mot productivité avec celui de développement durable. L’agriculture est également énoncée de façon secondaire dans la qualité de l’air et de l’eau pour deux régions (Laurentides et Montérégie Est).

Une orientation sur trois relevée dans les plans n’a pu être liée aux modèles multifonctionnel ou productiviste. Ces orientations viennent soutenir les activités agricoles comme la transformation agroalimentaire, la mise en marché des produits agroalimentaires ou encore la formation, des enjeux importants dans le secteur agricole que ce soit dans la filière agricole traditionnelle ou dans la mise en place de solutions de rechange. Dans la même veine, soulignons deux autres enjeux qui sont récurrents dans plusieurs plans régionaux. D’une part, la relève agricole constitue un défi important pour sept régions qui ont adopté une orientation pour soutenir l’établissement des jeunes en agriculture (Abitibi-Témiscamingue, Bas-Saint-Laurent, Capitale-Nationale, Laval, Longueuil, Mauricie et Outaouais). D’autre part, les mécanismes de concertation et de partenariat mettant en scène différents acteurs – les milieux politiques et socio-économiques, les entreprises agricoles et agroalimentaires – sont également l’un des mécanismes priorisés qui transcendent plusieurs orientations (Laurentides, Longueuil, Montérégie-Est, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Vallée-du-Haut-Saint-Laurent). Rappelons que le rôle principal des CRÉ est de favoriser la concertation dans le milieu, ce qui semble se refléter dans les plans étudiés.

En fait, la publication du plan ne met pas fin automatiquement à la consultation et à la mobilisation des acteurs sur les enjeux considérés comme majeurs dans la région. Au contraire, il s’agit plutôt d’un début. À cet égard, des régions comme Chaudière-Appalaches, l’Estrie ou la Vallée-du-Haut-Saint-Laurent ont adopté des planifications régionales spécifiques à l’agriculture qui émanent d’un exercice de concertation des dirigeants d’entreprises du secteur agricole et agroalimentaire et de représentants qui travaillent à l’essor de ce secteur dans la région.

Mentionnons également que les CRÉ signent des ententes spécifiques avec le gouvernement sur des secteurs de développement prioritaires pour la région qui permettent d’obtenir une enveloppe budgétaire pour la mise en œuvre d’actions. Certaines de ces ententes sont liées aux secteurs agricoles et agroalimentaires.

De plus, quatre plans ont mentionné un créneau d’excellence lié à l’agriculture et l’agroalimentaire qui fait partie du projet ACCORD (Abitibi-Témiscamingue, Bas-Saint-Laurent, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Laurentides). Même si elles ne le mentionnent pas dans leur plan, trois autres régions (Capitale-Nationale, Lanaudière et Montérégie) ont identifié un créneau porteur lié à l’agriculture.

L’importance de la concertation dans les orientations amène à s’interroger sur les destinataires visés par ces orientations. Quoiqu’imprécis, les énoncés contiennent toutefois quelques indices que nous voudrions mettre en lumière.

La majorité des orientations liées à l’agriculture ne s’adressent pas directement aux agriculteurs. Les demandes sont plutôt destinées aux organisations de développement local et régional comme ligne de conduite pour soutenir le secteur agricole. Ces orientations incitent les organisations de développement à soutenir la création de nouvelles entreprises agricoles ou encore les entreprises déjà existantes, celles par exemple qui sont dans un secteur agricole identifié comme stratégique pour la région, celles qui amorcent un virage vers l’agrotourisme ou des pratiques durables, ou qui manifestent des besoins pour la transformation ou la mise en marché de leurs produits. Ces entreprises ne sont pas nécessairement agricoles. Ce peut être des entreprises du secteur de la transformation agroalimentaire ou encore, comme l’indique l’une des orientations du Bas-Saint-Laurent qui visent à commercialiser les produits régionaux, les hôtels, restaurants, institutions et réseaux de distribution. L’une des orientations adoptées par l’Outaouais s’adresse aux organisations de certification biologique.

En outre, mentionnons que cinq orientations, qui favorisent l’achat de produits locaux ou qui désirent sensibiliser sur la contribution du secteur agroalimentaire, s’adressent aux citoyens, venant témoigner de leur rôle important dans le soutien d’une agriculture durable.

Des changements et des obstacles au développement agricole

L’un des principaux constats de cette étude est de révéler que la question de l’agriculture québécoise n’est pas uniquement centrée sur le modèle productiviste qui mise sur une régulation sectorielle et l’approche filière. Tout un pan est aussi articulé aux différents territoires avec la présence d’acteurs comme les CRÉ qui s’y intéressent et qui y voient un secteur de développement à fort potentiel pour leur région. Il vient témoigner de l’importance de ces organisations pour l’essor de l’agriculture.

Ainsi, même si le Québec n’a pas intégré jusqu’à maintenant d’objectifs liés à la multifonctionnalité dans sa politique agricole, il n’en demeure pas moins que des pratiques qui partagent plusieurs similitudes avec ce modèle existent sur le terrain. En fait, outre la valorisation de diverses fonctions, l’une des caractéristiques des politiques agricoles multifonctionnelles est de mettre en place des mécanismes qui encouragent le dialogue et l’action collective dans les territoires. L’exercice de planification des CRÉ s’appuie sur un mécanisme similaire puisque les priorités régionales sont identifiées en concertation. Elle met ainsi en place un espace de dialogue entre les principaux acteurs, agricoles ou non, qui s’intéressent à l’avenir de l’agriculture sur le territoire.

Dans cette dynamique, les orientations agricoles diffèrent d’une région à l’autre selon les acteurs en place et les spécificités territoriales. La Côte-Nord, par exemple, identifie la production de fruits nordiques pour diversifier son secteur agricole; l’Abitibi-Témiscamingue mise sur le bœuf à l’herbe qui se distingue de la filière bovine traditionnelle ; alors que Laval, qui évoque non sans fierté son agriculture dans sa planification régionale, mise notamment sur la promotion des produits de la région et l’achat local afin de faire face à la forte concurrence étrangère.

Ces orientations viennent révéler les attentes des acteurs face à l’agriculture mais également les évolutions en cours. C’est en effet après l’observation d’initiatives agricoles émergentes, qui participent au dynamisme régional ou encore en fonction des transformations observées dans les rapports de consommation, que certaines orientations ont été adoptées. D’autres fois, il s’agit bien d’attentes ou de défis que les acteurs formulent sur leur devenir en regard à une agriculture en crise actuellement. Ils identifient donc de nouvelles voies de développement, les périodes de crise étant reconnues pour stimuler l’innovation.

Ces orientations ne sont donc pas nécessairement le reflet de la réalité. Un large fossé entre les situations existantes et souhaitées peut exister. L’importance des initiatives qui s’inscrivent dans le modèle multifonctionnel reste encore une donnée inconnue tout comme les actions qui sont mises en œuvre par les acteurs du milieu à la suite de l’identification des orientations dans les plans de développement.

En fait, il existe de nombreux obstacles à l’émergence de solutions de rechange au modèle agricole productiviste. D’ailleurs, plusieurs menaces, qui ne sont pas du ressort des acteurs locaux mais plutôt liées à l’accentuation de la mondialisation néolibérale, ont été identifiées dans les plans de développement : ouverture des marchés, politiques de commercialisation et règles du marché de l’exportation, augmentation de la concurrence, baisse des profits nets, accentuation de l’agriculture à grande échelle, crise de la vache folle. Certaines des orientations adoptées visent à résister à ces tendances lourdes confirmant, du coup, la thèse de nombreux chercheurs qui observent une réaffirmation et une revalorisation des territoires locaux en réponse à l’accentuation de la mondialisation.


Aux obstacles qui freinent l’émergence d’innovation s’ajoutent les programmes et mesures agricoles québécoises. Du moins ne les encouragent-elles pas. Les contradictions entre certaines orientations agricoles identifiées par les régions et les priorités agricoles gouvernementales sont flagrantes. À titre d’exemple, mentionnons que certaines productions agricoles considérées comme marginales à l’échelle provinciale sont identifiées comme des créneaux porteurs pour certaines régions. Aussi, les acteurs des régions attribuent à l’agriculture un sens différent, davantage multifonctionnel, que celui encouragé par les politiques agricoles qui s’appuient davantage sur une logique productiviste. Ces dernières sont également appliquées sans distinction entre les territoires qui composent le Québec. Ils ne peuvent capter les différences entre les territoires et, du coup, ont de la difficulté à soutenir les projets innovateurs (CAAAQ, 2008).

À titre de comparaison, plusieurs pays, en Europe notamment, ont amorcé une décentralisation des politiques agricoles afin de s’adapter aux différentes réalités des territoires. Le Québec pourrait-il et devrait-il suivre cette tendance ? La valorisation des dynamiques territoriales dans les politiques agricoles est une piste de plus en plus mentionnée au Québec par différents chercheurs et acteurs (CAAAQ, 2008 ; Jean et Gouin, 2002 ; Jean et Lafontaine, 2010). Les constats et enjeux qui se dégagent de ces études témoignent de l’importance de s’attarder davantage à cette question et aux rôles des différents acteurs.

En outre, la région est-elle l’échelle à privilégier pour appuyer la diversité agricole et répondre aux besoins des acteurs locaux ? Là aussi, la question est intéressante à débattre. Certes, l’échelle régionale est pertinente, car elle vient tisser des liens entre le rural et l’urbain, entre les agriculteurs et les consommateurs. Mais elle est parfois composée de territoires disparates avec des réalités fort différentes. Le plan de développement de la Mauricie souligne l’importance de cet enjeu et des obstacles que cela entraîne sur son territoire. D’une MRC à l’autre, les réalités et les stratégies changent. D’ailleurs, au cours des dernières années, le transfert de compétences amorcé par le gouvernement s’est davantage réalisé en direction des MRC, alors que l’échelle régionale est plutôt vue comme un territoire de concertation. Il va sans dire que la présente étude pourrait être reprise, avec les mêmes paramètres, à l’échelle des MRC avec une analyse des orientations adoptées dans les Plans d'action locaux pour l'économie et l'emploi réalisés par les Centres locaux de développement (CLD), un dispositif de développement qui offre des services de soutien technique et financier aux entreprises collectives et privées. D’ailleurs, certains CLD coordonnent des tables agricoles et agroalimentaires sur leur territoire. L’agriculture multifonctionnelle serait-elle davantage sur la sellette ? Voilà d’autres questions auxquelles il faudrait s’attarder afin de mieux connaître les projets collectifs dans le domaine agricole sur les territoires du Québec.

Conclusion

L’agriculture est une priorité de développement pour plusieurs régions. En témoigne le nombre d’orientations inscrites dans les plans régionaux de développement des CRÉ. L’agriculture multifonctionnelle y est fortement encouragée que ce soit avec le développement de nouveaux créneaux, la mise en valeur des produits régionaux, la promotion de l’achat local, l’agriculture biologique, l’agrotourisme, l’occupation du territoire, la mise en valeur des paysages, l’agroenvironnement… Cette dynamique territoriale qui favorise les synergies entre différents acteurs qui s’intéressent à l’agriculture s’exerce toutefois en vase clos. Au Québec, les politiques et mesures agricoles sont jusqu’à maintenant demeurées centralisées et déconnectées des spécificités des différents territoires et des préoccupations des acteurs du développement. Or, la prise en compte de cette dynamique territoriale pourrait favoriser l’émergence de projets innovateurs dans le domaine agricole. C’est du moins l’hypothèse que soulève cette étude. La révision de la politique agricole et agroalimentaire est toutefois en cours et devrait être connue au printemps 2011. Amorcera-t-elle une certaine décentralisation et une ouverture vers d’autres acteurs ? Cela reste à voir. Quelle que soit sa finalité, il n’en demeure pas moins que des recherches qui analysent la diversité des projets collectifs et les acteurs qui y participent sont plus que jamais d’actualité. On observe dans le milieu une urgence de s’y attarder davantage.

Références bibliographiques

CAAAQ – Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois. 2008. Agriculture et agroalimentaire : assurer et bâtir l’avenir, Rapport de la CAAAQ. Bibliothèque nationale du Québec, 272 pages.

Doucet, Chantale. 2010. L'agriculture dans les plans régionaux de développement des Conférences régionales des élus : vision multifonctionnelle ou productiviste ? Cahier de l’ARUC-ISDC, Série Recherches # 30, 54 p.

Jean, Bruno et Daniel Mercier-Gouin en collaboration avec Majella Simard. 2002. Évaluation des mesures de soutien à l'agriculture et l'agroalimentaire dans les milieux en restructuration de la région de Chaudière-Appalaches, Rapport final présenté au Comité régional sur les milieux en restructuration de la région Chaudière-Appalaches sous la coordination du CLD des Etchemins. Université du Québec à Rimouski, Chaire de recherche du Canada en développement rural, 124 p.

Jean, Bruno et Danièle Lafontaine (dir.). 2010. La multifonctionnalité de l’agriculture et des territoires ruraux. Enjeux théoriques et d’action publique. Éditions du GRIDEQ et du CRDT, Université du Québec à Rimouski, 228 pages.

Site Internet du MAMROT. Conférence régionale des élus.

 

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