Pub 2017

pub fondaction

 


 

Sommaire
Volume 4, no 4
Économie de la création : le cas des artistes interprètes

Pour télécharger le fichier pdf, cliquez ici

Travail et représentation collective dans l’économie de la création : le cas des artistes interprètes

 

Par Martine D’Amours,
département des relations industrielles, Université Laval

 

Les artistes : un monde à part [1] ?


À première vue, on serait tenté de répondre par l’affirmative. Comme le rappelle Pierre-Michel Menger, une longue tradition sociologique a présenté l’artiste (qui travaille librement à une activité expressive) comme l’envers du travailleur (dont le travail est aliéné, dépossédé de son sens) ou tout au moins comme une figure d’exception, n’ayant rien de commun avec les autres secteurs de l’économie et partant, avec les autres travailleurs.

L’activité artistique est constituée de différents projets, chacun générant un produit unique, dont le succès n’est jamais garanti à l’avance. La majorité des artistes n’arrivent pas à vivre de leur art et mènent une double vie, l’une consacrée au travail artistique, l’autre à divers emplois ou activités complémentaires. Ces dernières peuvent soit se situer dans le prolongement de l’activité artistique (par exemple l’enseignement des arts), soit n’entretenir aucun lien avec elle. Ce cumul de formes de travail, de projets et d’activités se traduira à son tour par le caractère particulier de la carrière artistique, composée d’une succession ou d’un cumul d’engagements de courte durée, dans une diversité d’activités et de métiers, pour une multiplicité d’employeurs et avec un cumul ou une alternance de statuts sociaux et fiscaux (salarié, indépendant).

La précarité vécue par une majorité d’artistes n’est pas attribuable uniquement à ces caractéristiques mais aussi à leur dépendance à l’égard de multiples intermédiaires (agents d’artistes, diffuseurs) qui sont habituellement la partie forte au contrat. De nombreux auteurs formulent le constat à l’effet que les artistes n’ont, pour leur vaste majorité, d’autre choix que d’accepter les contrats d’exploitation de leurs œuvres qu’on leur propose (situation désignée par le terme de « contrat d’adhésion », caractéristique du contrat de travail). Ils font également état de pratiques contractuelles qui ont un effet à la baisse sur les revenus, comme la demande de cession exclusive, et souvent illimitée, de tous les droits de propriété intellectuelle ou encore la rémunération selon une logique de forfait.

Les univers artistiques sont traversés par le risque. Le succès, imprévisible et aléatoire, n’est garanti ni par l’expérience ni par le succès des projets antérieurs. Ce risque est accru par une offre de talents supérieure à la demande, dans une économie hautement concurrentielle qui carbure à la nouveauté : chaque projet et chaque producteur sont mis en concurrence avec une foule d’autres projets et d’autres producteurs, et cet effet est démultiplié dans les segments de marché limités à un petit nombre « d’acheteurs » fortement concentrés.

Contrairement au salarié classique, pour qui la prise en charge des risques économiques relève de l’employeur, l’artiste assume en bonne partie les risques d’entreprise, de la prestation et du sous-emploi. Ainsi, à moins de travailler sur commande, l’artiste créateur investit des ressources et du temps de travail sans savoir si son produit trouvera preneur sur le marché ni à quel prix. Il assume aussi le risque économique de la prestation, car sa rémunération est au moins en partie tributaire du succès de l’œuvre plutôt que du temps de travail requis pour la produire. Contrairement au salarié typique, il supporte également le risque de l’emploi : son engagement est limité à la durée d’une prestation et il ne peut compter que sur lui-même pour générer un volume de travail suffisant pour vivre. Bref tant son activité que sa rémunération sont sujettes à l’intermittence, à l’imprévisibilité et aux fluctuations économiques.

Dans un petit ouvrage au titre provocateur (Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme), Pierre-Michel Menger soutient que, loin de constituer un monde à part, l’activité de création obéit à des règles comparables aux autres mondes de production (ou même les préfigure) et que les paradoxes des mondes artistiques deviennent ceux d’une portion grandissante de l’économie. L’hypothèse de départ de son ouvrage « est que, non seulement les activités de création artistique ne sont pas ou plus l’envers du travail, mais qu’elles sont au contraire de plus en plus revendiquées comme l’expression la plus avancée des nouveaux modes de production et des nouvelles relations d’emploi engendrés par les mutations récentes du capitalisme. Loin des représentations romantiques, contestataires ou subversives de l’artiste, il faudrait désormais regarder le créateur comme une figure exemplaire du nouveau travailleur, figure à travers laquelle se lisent des transformations aussi décisives que la fragmentation du continent salarial, la poussée des professionnels autonomes, l’amplitude et les ressorts des inégalités contemporaines, la mesure et l’évaluation des compétences ou encore l’individualisation des relations d’emploi. » (Menger, 2002, p. 8)

En effet, non seulement la nature du travail contemporain se transforme-t-elle, comportant beaucoup d’éléments intangibles, immatériels (cas de l’économie du savoir) mais encore les nouveaux modes d’organisation de la production et du travail ont-ils conduit à la diversification et à la fragmentation de la relation d’emploi. Il s’agit parfois de diversification au sein même du salariat, affectant la durée du travail (emploi à temps partiel) ou la permanence du lien d’emploi (emploi temporaire), parfois de l’expansion du travail non subordonné, relevant d’un contrat commercial plutôt que d’un contrat de travail (travail indépendant, aussi appelé travail autonome) et parfois encore du développement de relations tripartites de travail (emplois obtenus par l’intermédiaire d’une agence de placement (Bernstein et al., 2009). L’Institut de la statistique du Québec estimait à 38,1% la proportion de la main-d’œuvre québécoise occupant un emploi atypique (différent de l’emploi, régulier à temps complet pour un seul employeur) en 2010. Cette réalité se manifeste presque autant chez les hommes que chez les femmes, surtout chez les plus jeunes et les plus âgés, dans tous les niveaux de qualification, tous les niveaux de scolarité et toutes les catégories socioprofessionnelles.

Au-delà du nombre et de la diversité des personnes touchées, les formes de travail atypiques, surtout celles qui ont connu la plus forte croissance depuis le milieu des années 1970 (soit le travail temporaire et le travail indépendant exercé à son propre compte) ont ceci d’intéressant qu’elles présentent un concentré de caractéristiques qui deviennent aussi le lot d’une part croissante d’emplois salariés typiques :
- flexibilité et individualisation du contrat de travail, des horaires, des rémunérations; accroissement des écarts et polarisation des rémunérations;
- tendance à rémunérer le résultat du travail plutôt que le temps de travail et à reporter sur le travailleur la responsabilité de gérer les risques naguère assumés collectivement, qu’il s’agisse du risque du sous-emploi, des risques sociaux (maladie, parentalité, vieillesse) ou du risque de voir ses compétences tomber en désuétude;
- autonomie au travail, particulièrement visible dans les nouvelles formes d’organisation productive dans lesquelles il est demandé aux salariés, tant dans les emplois manufacturiers que dans les emplois de services, de prendre des initiatives et de gérer individuellement ou collectivement leur travail;
- perte d’efficacité des régulations traditionnelles du marché du travail (y compris celles mises en œuvre par le syndicalisme) et de l’État-providence, au premier chef les programmes sociaux, dont l’effet protecteur est de moins en moins effectif, en particulier pour les travailleurs atypiques.

C’est parce que le cas des artistes est emblématique de modalités d’emplois en expansion que les formes d’action collective développées dans ce secteur sont intéressantes à analyser.

La représentation collective chez les artistes interprètes


Si des pays comme la France ou la Belgique ont décidé de protéger certains groupes d’artistes en les assimilant à des salariés, ce n’est clairement pas la voie qui a été privilégiée au Québec. Pour des raisons qui tiennent à son histoire et à la tradition associative dans ce secteur, le Québec a choisi, avec l’accord et à la demande des principales associations intéressées, de considérer les artistes comme des travailleurs à leur compte (dans l’exercice de leur art). Cinquante ans de lutte des associations d’artistes pour leur reconnaissance ont conduit à la création d’un régime original de rapports collectifs de travail au bénéfice des artistes interprètes, notamment comédiens, musiciens, chanteurs, danseurs, professionnels des arts de la scène, etc. Il s’agit d’un des seuls régimes, au Québec et au Canada, à instaurer une obligation de négociation collective entre travailleurs indépendants et donneurs d’ouvrage.

Adoptée en 1987, la Loi sur le statut professionnel des artistes de la scène, du disque et du cinéma (L.R.Q., chapitre S-32.1) confère à l’artiste une identité juridique et fiscale de travailleur autonome (donc sans lien de subordination), tout en établissant les procédures de reconnaissance des associations d’artistes et en créant l’obligation pour les producteurs de négocier de bonne foi des ententes collectives avec les associations reconnues. L’Allier et ses collaborateurs rappellent que l’intention initiale du législateur était de « pallier les lacunes du droit du travail traditionnel résultant des caractéristiques propres au monde culturel (courtes productions, employeurs différents, liberté de créer de l’artiste, absence de lien de subordination […] en mettant sur pied un régime parallèle permettant aux artistes à leur propre compte de négocier des ententes fixant les conditions minimales d’embauche. » (L’Allier et al., 2010, p. 22).

La loi établit les procédures de reconnaissance des associations d’artistes et de producteurs. Sur le modèle du Code du travail, la définition des secteurs de négociation prend en compte la communauté d’intérêts des artistes ainsi que l’historique des relations entre artistes et producteurs. Une seule association, dont le caractère majoritaire a été constaté par la Commission des relations de travail, est reconnue pour chaque secteur de négociation; elle devient alors la seule habilitée à négocier et à conclure des ententes collectives au nom de tous les artistes de ce secteur, qu’ils en soient membres ou non. La loi prévoit un soutien aux parties si la négociation directe achoppe (conciliation, médiation, arbitrage obligatoire de la première entente collective) et encadre l’exercice des moyens de pression économiques.

Le régime ainsi créé est un calque du Code du travail, dont il possède les caractéristiques protectrices, avec des distinctions sémantiques destinées à marquer sa différence d’avec le régime général (on parle ainsi d’ « entente collective » plutôt que de convention collective et d’ « action concertée » plutôt que de grève ou de lock-out). Toutefois, contrairement à la convention collective dont les conditions ne peuvent être ni diminuées ni bonifiées par la négociation individuelle, l’entente collective porte sur des conditions minimales de travail et de rémunération et prévoit que, selon sa réputation et son degré de « désirabilité », l’artiste peut négocier individuellement des conditions supérieures.

Dix-sept associations d’artistes ont été reconnues et près de 700 ententes collectives (incluant les renouvellements) ont été conclues en vertu de cette loi depuis 1987, selon une compilation effectuées par les professeurs Georges Azzaria et Mélanie Samson, de l’Université Laval. Ces ententes prévoient la rémunération minimale par catégories et codifient certaines autres conditions de travail. À titre d’exemple, les ententes négociées par l’Union des artistes au bénéfice des comédiens prévoient les normes relatives aux heures, pauses, temps supplémentaire, modalités de répétition, déplacements, les droits de suite (rémunération additionnelle pour les reprises, les rediffusions) et la contribution des producteurs à la protection sociale. Elles incluent finalement une forme limitée de couverture par la CSST, une procédure de griefs et certaines contiennent des clauses d’ateliers fermés. Il faut noter que, compte tenu du fait que dans ce milieu, « gagner sa vie veut presque toujours dire faire plusieurs métiers » (L’Allier et al., 2010, p. 7), les artistes sont souvent régis par plusieurs ententes collectives.

Le régime de négociation créé au bénéfice des artistes interprètes possède toutes les caractéristiques d’un véritable régime de rapports collectifs de travail, selon le modèle conceptualisé par Gagnon (2008) et son analyse dudit régime. Toutefois, si on le compare au régime général créé par le Code du travail (Murray et Verge, 1999), il présente plusieurs spécificités:
- il ne s’adresse pas à des travailleurs subordonnés mais à des travailleurs indépendants;
- le niveau de la représentation et de la négociation collective est le secteur ou le sous-secteur (au sein duquel les travailleurs sont mobiles) plutôt que l’établissement;
- alors que la convention collective conclue en vertu du régime général s’applique à tous sans possibilité d’y déroger, même pour des conditions plus avantageuses, l’entente collective codifie des conditions minimales de travail et de rémunération tout en permettant la négociation individuelle de conditions supérieures aux minima;
- la représentation n’est pas assurée exclusivement par le syndicat accrédité (à l’exclusion d’autres groupements syndicaux, représentants des salariés ou de l’action directe des salariés eux-mêmes), comme dans le cas du régime général, puisqu’une partie de la représentation (celle qui concerne les conditions supérieures aux minima) est assurée par l’artiste lui-même ou son agent;
- les travailleurs représentés se considèrent comme hétérogènes, et veulent être rémunérés pour ce qu’ils apportent de différent, alors que le régime général a été conçu pour la défense de travailleurs qui présentent des caractéristiques homogènes. Cela se traduit par une ouverture à l’instauration de paliers multiples de rémunération;
- l’un de ces paliers concerne la rémunération additionnelle liée à la réputation alors qu’une autre part de la rémunération est attachée à la diffusion d’un produit dans un média autre que celui pour lequel il a été créé, ou pour sa rediffusion ou réutilisation. Au départ, un pourcentage du cachet initial servait à racheter tous les droits de suite mais depuis peu, on cherche à négocier pour l’artiste un pourcentage des profits générés par l’exploitation de l’œuvre.

Ce régime de négociation propre aux artistes interprètes a indéniablement permis des avancées pour les travailleurs touchés, mais il comporte aussi un certain nombre de limites.

Les ententes négociées ont eu pour effet de bonifier la rémunération des artistes les plus mal payés, ceux qui auparavant travaillaient en-dessous des minima. Toutefois, le paiement de cachets beaucoup plus élevés à quelques vedettes se traduit, dans le contexte où les budgets des productions stagnent, par le fait que la majorité n’arrive pas à négocier au-dessus des minima. Une étude des économistes de l’UQAM Lefebvre et Merrigan constate une polarisation accrue des cachets pour la période 2001-2006. Les leaders de l’UDA concluent pour leur part à la disparition de la « classe moyenne », c’est-à-dire de ceux qui vivent bien de leur art sans pour autant être des vedettes. Par ailleurs, l’arbitraire des producteurs demeure total quant aux décisions d’embauche (et celles, implicites, de non-réembauche) et on constate même que ce pouvoir remonte jusqu’aux diffuseurs, qui peuvent choisir de s’associer à une production à la condition que telle ou telle vedette y figure (ou n’y figure pas).

Certaines autres conditions négociées (par exemple les pauses) sont difficiles à faire appliquer compte tenu du fait que rien ne garantit aux artistes qu’ils obtiendront un nouveau contrat. Dans le contexte où les producteurs tendent à allonger la journée de travail pour diminuer le nombre de jours de location des équipements, ce sont les comédiens « en demande » (donc relativement moins vulnérables au risque d’une non-réembauche) qui font le tour des plateaux pour commander le respect des pauses. En outre, la figure de l’employeur change : le pouvoir de décision se déplace des producteurs vers les diffuseurs; or, c’est avec les producteurs que les associations d’artistes négocient. Dans le cadre des travaux pilotés par le comité L’Allier, les associations d’artistes ont réclamé l’élargissement de la notion de producteur, ou l’obligation pour les diffuseurs qui contractent directement avec les artistes de respecter les ententes collectives, mais il n’y a pas consensus sur ce point, et le législateur a choisi de ne pas amender la loi en ce sens.

Acquis important, les artistes comptent parmi les rares groupes de travailleurs indépendants québécois pour lesquels les donneurs d’ouvrage contribuent à la protection sociale. Cette contribution varie selon les groupes : dans le cas des ententes UDA, les producteurs versent 7% du cachet au fonds de retraite, 2% au fonds d’assurances et 4% pour les vacances. Contrairement à la règle générale, les avantages sociaux sont donc rattachés à l’activité de travail plutôt qu’au statut de travailleur subordonné. Certains sous-groupes bénéficient en outre d’une protection en cas d’accident ou de blessure survenue pendant les prestations (comédiens) ou même pendant les répétitions (danseurs). Toutefois, ces régimes ne sont pas sans poser un certain nombre de limites. D’une part, les artistes qui occupent plusieurs fonctions cotisent à plusieurs régimes. Or l’accessibilité à ces régimes exige un minimum de revenus tirés de l’activité et ses bénéfices augmentent avec le niveau de revenu tiré de cette activité. Aussi, les artistes pauvres se retrouvent avec un niveau minimal de protection, alors que ceux qui cumulent plusieurs types d’activités artistiques sont désavantagés parce qu’en l’absence de passerelles entre les régimes d’assurances collectives, ils risquent de n’avoir accès qu’au niveau minimum de protection dans chacun des régimes. D’autre part, seule la portion de travail sous juridiction donne accès aux contributions des producteurs, ce qui exclut les emplois non artistiques auxquels les artistes, surtout les plus précaires, ont recours pour boucler les fins de mois, et pose l’enjeu du cumul avec les régimes non artistiques.

Finalement, la mise en place de ce régime eut pour effet d’élever les associations d’artistes au rang d’interlocuteurs reconnus par les autres acteurs, notamment par l’État. Outre leur rôle dans la négociation collective, les associations d’artistes, tout comme celles représentant les donneurs d’ouvrage, participent donc à des instances consultatives sectorielles autour d’enjeux communs à l’ensemble des professions concernées, comme la santé et la sécurité, la fiscalité, la formation professionnelle et la transition de carrière. Toutefois, cette négociation informelle entre tous les acteurs de l’industrie connaît de sérieuses limites puisque si tout ce qui fait l’objet de consensus est à court ou moyen terme inclus dans la législation, le législateur hésite à trancher sur les matières qui ne font pas consensus.

En guise de conclusion


Contrairement à la vision largement répandue, qui considère les travailleurs indépendants comme des individualistes, force est de constater que ces travailleurs ont mis en œuvre des formes originales d’action collective.

Les travaux menés par le chercheur britannique Edmund Heery (2009) sur l’action syndicale ciblant des travailleurs salariés temporaires et des travailleurs autonomes ont mis en évidence le fait que cette action s’exerce souvent à une autre échelle que le syndicalisme traditionnel, et avec d’autres moyens. D’une part, la représentation des travailleurs atypiques conduit souvent à développer des systèmes spécifiques de représentation, une autre l’échelle que celle de l’entreprise, par exemple sur une base sectorielle ou géographique. D’autre part, les méthodes utilisées font moins souvent appel à la négociation collective (pas toujours accessible ou très effective) et davantage à d’autres modalités de régulation : grilles de tarifs et contrats types, liste de mauvais employeurs, assurances collectives et autres bénéfices transférables, formation et développement des compétences, publication d’offres d’emplois et de répertoires des membres, causes types devant les tribunaux et lobby pour faire amender les lois pour les rendre plus favorables.

L’action collective menée par les associations d’artistes au Québec reflète bien ces tendances. Si le régime lui-même et les ententes qu’il a permis de conclure laissent place à l’amélioration, ne serait-ce qu’en raison de la modification de la figure du donneur d’ouvrage et de la portée limitée d’ententes qui portent sur un secteur, alors que l’activité des travailleurs se déploie fréquemment sur plusieurs secteurs, elles ont aussi produit des impacts positifs, comme des tarifs minima et la contribution des donneurs d’ouvrage à la protection sociale. Cette forme institutionnelle originale tente de répondre à des défis (mobilité, individualisation, participation aux risques et nécessité d’étendre la représentation collective aux travailleurs non subordonnés) qui se posent largement au monde du travail contemporain et elle serait susceptible de répondre aux aspirations d’autres groupes de travailleurs, notamment les concepteurs de jeux vidéo (Legault et D’Amours, 2011) ou les journalistes pigistes, qui ont fait de multiples démarches pour s’en prévaloir, sans succès jusqu’ici.

La question n’est donc pas de savoir si l’action collective existe chez les travailleurs atypiques mais si elle se développera à l’intérieur ou à l’extérieur, en complicité ou en opposition, avec le mouvement syndical.

Bibliographie

Bernstein, S., U. Coiquaud, M-J Dupuis, L.L. Fontaine, L. Morrissette, E. Paquet et G. Vallée (2009). « Les transformations des relations d’emploi : une sécurité compromise? », in Regards sur le travail, vol 6, no 1 p. 19-29.

D’Amours M. (2013). « Les innovations en matière de représentation collective en contexte de diversification des statuts d’emploi », in Klein, Juan Luis et Matthieu Roy (dir). Pour une nouvelle mondialisation : le défi d’innover. Québec, Presses de l’Université du Québec, pp. 102-120.

D’Amours, M. et M.-H. Deshaies (2012). La protection sociale des artistes et autres groupes de travailleurs indépendants : analyse de modèles internationaux. Cadre d’analyse et synthèse des résultats. Québec, Étude présentée au ministère de la Culture et des Communications, octobre, 58 p.

Gagnon, M. (2008). Les régimes d’exception au Code du travail. Cadre analytique examinant les raisons de leur implantation et étude de leur qualification à titre de véritable régime de rapports collectifs de travail : le cas des camionneurs-propriétaires. Thèse de doctorat. Département des relations industrielles, Université Laval.

Heery, E. (2009). « Trade unions and contingent labour : scale and method” in Cambridge Journal of Regions, Economy and Society, 2, 429-442

L’Allier, J. P., D. Boutin et A. Sasseville (2010) Rapport du Comité L’Allier sur la démarche de réflexion avec les associations concernées par l’application des lois sur le statut des artistes, Québec, Rapport présenté à la Ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine.

Legault, M. J et M. D’Amours (2011). « Représentation collective et citoyenneté au travail en contexte de projet". Relations industrielles/Industrial Relations, vol. 66, no 4, pp. 654-677.

Menger, P.-M. 2002. Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme. Paris : Seuil, La République des idées.

_________________________________________________________

[1]  Cet article est largement repris de deux publications antérieures : D’Amours (2013) et D’Amours et Deshaies (2012).

Vous lisez présentement:

 
Mutation du travail et renouvellement du syndicalisme
juin 2013
Compte tenu des nouvelles réalités du monde du travail, le mouvement syndical doit s'interroger sur sa pertinence pour l'avenir. Comment travailler avec les groupes qui oeuvrent dans les secteurs atypiques et auprès des non-syndiqués pour reconstruire un contre-pouvoir et une légitimité renouvelée ? Quelles formes d'organisation seraient susceptibles de répondre aux enjeux actuels ? C'est de cela que traitera ce numéro.
     
Tous droits réservés (c) - Éditions Vie Économique 2009| Développé par CreationMW