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Sommaire
Volume 4, no 1
La valeur des diplômes universitaires sur le marché du travail

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La valeur des diplômes universitaires sur le marché du travail


Mircea Vultur
INRS Urbanisation Culture Société


Au Québec et au Canada, comme dans l’ensemble des pays de l’OCDE, le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur a augmenté fortement au cours des dernières décennies. Cet afflux croissant de diplômés sur le marché du travail pose la question de la valeur de leurs diplômes. Quelle est la performance des diplômés universitaires en termes d’insertion professionnelle et d’utilisation des compétences? Quelle place le diplôme a-t-il dans l’ensemble des critères mis en avant par les employeurs dans le processus de recrutement de la main-d’œuvre? Quelle est la perception que les diplômés eux-mêmes ont du diplôme comme moyen d’obtenir l’emploi  convoité en rapport avec leur formation? Pour répondre à ces questions, je présenterai dans un premier temps, à partir de données statistiques, la dynamique de la croissance du nombre de diplômés universitaires, quelques indicateurs d’insertion sur le marché du travail et l’étendue du phénomène de la surqualification qui affecte cette catégorie de la population au Canada et au Québec. Dans un deuxième temps, sur la base des données qualitatives, j’analyserai la valeur du diplôme en tant que critère de sélection de la main-d’œuvre, selon le point de vue des employeurs, et les perceptions que les diplômés eux-mêmes ont de l’utilité du diplôme comme moyen d’insertion sur le marché du travail. 

1. Diplomation et marché du travail : quelques données statistiques

L’augmentation du taux de diplomation est une tendance globale dans les pays développés. Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, le taux d’obtention d’un diplôme universitaire est passé de 20% en 1995 à 37% en 2006. Au Canada, durant la même période, ce taux est passé de 29% à 38%. Conséquemment, le nombre de diplômés a fortement augmenté. Au Québec, en 2006,  880 670 personnes de 25 à 64 ans étaient titulaires d’un grade universitaire, une augmentation de 23,6% par rapport à 2001. Entre ces deux années, la part des titulaires d’un grade universitaire dans la population québécoise des 25 à 64 ans est passée de 17,8% à 20,8%. Au Canada, dans son ensemble, ces proportions étaient de 19,7% et 22,9% respectivement. Que l’on soit au Canada ou au Québec, c’est la part féminine des titulaires des diplômes universitaires qui a augmenté le plus, les femmes représentant plus de 50% de la population des 25 à 64 ans titulaire d’un diplôme universitaire. Leur nombre s’est accru de 29,6% depuis 2001 et de 61,8% depuis 1996. Chez les hommes la croissance a été beaucoup plus modeste (17,9% depuis 2001 et 31,7% depuis 1996). Soulignons également que les immigrants représentent une part importante des titulaires d’un grade universitaire. En 2006 au Québec, 21,2% de ces titulaires étaient des immigrants qui, en majorité (54,1%), sont arrivés entre 1996 et 2006 et plus du tiers (34,9%) au cours de la période 2001-2006. Les immigrants qui arrivent au Québec sont donc de plus en plus diplômés, la proportion des titulaires d’un grade universitaire parmi les immigrants récents (immigrés de 2001 à 2006), étant en 2006 de 51,2% (Lessard, 2009; Vultur, 2010).

Ces données, rapidement présentées, indiquent que dans l’ensemble des pays développés, au Québec et au Canada, de plus en plus de personnes détiennent un diplôme universitaire et que le niveau de scolarité atteint est de plus en plus élevé. Structurellement, l’offre de main-d’œuvre devient d’année en année, plus diplômée. Quelle est la situation de ces diplômés sur le marché du travail et dans quelle mesure réussissent-ils à faire fructifier leur investissement en formation?

La théorie du capital humain élaborée par l’économiste Gary Becker, prix Nobel d’économie 1992, fondée sur l’hypothèse que l’éducation est un investissement productif a contribué dans une large mesure à favoriser la diffusion de l’éducation au niveau mondial et tout particulièrement dans les pays développés. Les indicateurs publiés de manière périodique par l’OCDE et par les institutions nationales spécialisées, accordent un intérêt particulier au taux d’emploi et au taux de chômage selon le niveau de diplôme pour illustrer l’efficacité de l’investissement en éducation. Ces indicateurs, examinés dans une approche comparative, pour une année donnée, valident la théorie du capital humain : le taux d’emploi a des valeurs d’autant plus élevées que le niveau de formation est élevé, tandis que le taux de chômage est inversement corrélé avec le niveau de diplôme. Cependant, les approches diachroniques débouchent sur des résultats plus contrastés du lien diplôme-emploi-chômage.

Ainsi, pour l’ensemble des pays de l’OCDE, comme pour le Québec et le Canada, les variations dans le temps du taux d’emploi des diplômés universitaires sont très faibles. Ce taux a été relativement constant, voire décroissant dans certains cas. Dans les pays de l’Union européenne, par exemple, le taux moyen d’emploi des diplômés du supérieur a légèrement baissé, passant de 85 % en 1991 à 84 % en 2006 (OCDE, 2007 : 141). Pour ce qui est du Québec, de 2001 à 2006, le taux d’emploi des titulaires d’un grade universitaire de 25 à 64 ans a diminué de 84% à 82%, alors que le taux d’emploi des personnes du même groupe d’âge, peu importe le niveau de scolarité atteint, a augmenté. Pour le Canada, on constate la même tendance : valeur constante ou diminution du taux d’emploi des diplômés universitaires au cours des 25 dernières années. Il est à noter également que dans de nombreux pays développés, le taux d’emploi a augmenté davantage pour les non diplômés que pour les diplômés; dans un contexte de récession, la baisse du taux d’emploi a été moins forte pour les non-diplômés. On retrouve ce phénomène au Canada et au Québec, mais aussi dans des pays comme l’Australie, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège,  le Portugal, les États-Unis (OCDE, 2007).

Le taux de chômage des diplômés universitaires, quant à lui, a varié, comme pour toutes les catégories de la main-d’œuvre, en fonction de la conjoncture économique et se situe sous le seuil des 6%.  Au Canada, ce taux est constamment supérieur à la moyenne de l’OCDE. Pour ce qui est du Québec,  cet indicateur a eu une tendance à la hausse, passant de 4 % en 2000 à 7 % en 2005 avec une diminution au cours des dernières années (4,8% en 2008). Conséquemment, la proportion de chômeurs avec un diplôme universitaire dans l’ensemble des chômeurs a augmenté, passant de 9,2% en 2000 à 13,2% en 2008.

Ces résultats mitigés sur le plan de l’insertion, tels qu’indiqués par les taux d’emploi et de chômage selon une perspective diachronique, sont accompagnés par la persistance et l’expansion du  phénomène de la surqualification qui se définit comme la situation qui caractérise un individu dont le niveau de formation dépasse celui normalement requis pour l’emploi occupé. Ce phénomène s’apparente à une sous-utilisation des qualifications acquises durant les études universitaires de même qu’à une forme de « chômage déguisé ». Dans l’ensemble du Canada, ce phénomène touche une proportion importante des diplômés universitaires. Les données de l’Enquête nationale auprès des diplômés (END) de 1995 et 2000, recueillies par l’approche subjective [1], indiquent que, deux ans après la fin de leurs études, respectivement 34,4% et 33,5% des diplômés se considéraient comme surqualifiés; cinq ans après, respectivement 26,9% et 24,5% étaient dans cette situation. Au Québec, les données recueillies par la méthode objective [2] vont dans le même sens : en 2007, 27,2% de l’ensemble des travailleurs québécois et 37,5% des diplômés universitaires étaient en situation de surqualification (tableau 1) :

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Notons également que, sur le plan de la rémunération, si 36 % des diplômés universitaires québécois se classaient en 2006 dans la catégorie des hauts revenus [3], 16 % d’entre eux se situaient dans la catégorie des revenus les plus faibles (revenu égal ou inférieur à la moitié du revenu d’emploi médian national). À l’échelle canadienne, le pourcentage de travailleurs ayant fait des études universitaires dont le revenu était égal ou inférieur à la moitié du revenu d’emploi médian national était en 2006 plus élevé que dans la plupart des pays de l’OCDE : 18 % des diplômés universitaires et 23 % des diplômés de niveau collégial âgés de 25 à 64 ans. Les revenus annuels de ces travailleurs canadiens étaient donc inférieurs à 16 917 $ avant impôts et transferts. Les proportions étaient de 6,3 % et de 7 % respectivement en France et de 17 % et 11 % respectivement aux États-Unis (OCDE, 2008).

En somme, ces données montrent qu’au cours des dernières années le taux d'emploi des diplômés reste relativement stable et qu’il diminue dans certains cas. On constate que, dans les pays de l’OCDE, le taux moyen d'emploi des diplômés universitaires a légèrement baissé et qu’au Canada et au Québec, dans le contexte d’un marché du travail en expansion, leur performance a été relativement négative. Pour ce qui est du taux de chômage, il a été stable ou a enregistré une tendance à la hausse. Le phénomène de la surqualification, qui affecte une frange importante des diplômés universitaires, renforce également la tendance à la diminution du rendement du diplôme sur le marché du travail par un investissement non compensatoire dans les études, doublé d’une allocation inefficace des qualifications acquises. Du point de vue salarial, un pourcentage important de diplômés universitaires vit avec un revenu égal ou inférieur à la moitié du revenu d’emploi médian national canadien.

Devant ces réalités statistiques, qui montrent une diminution relative du rendement des diplômes sur le marché du travail, quelle est la position des employeurs et des diplômés universitaires eux-mêmes? Quelle est l’importance du diplôme comme critère de sélection de la main-d’œuvre et quelle est la perception que les diplômés universitaires ont de l’utilité du diplôme dans le processus d’accès à l’emploi?

2. Le diplôme dans le processus de recrutement et sa perception subjective par les diplômés universitaires

Je présenterai brièvement quelques analyses des données qualitatives obtenues par l’entremise d’entrevues semi-dirigées avec des directeurs de ressources humaines (DRH) et des diplômés universitaires (niveau baccalauréat et maîtrise), réalisées dans la grande région de Québec, dans le cadre d’une recherche que j’ai menée en 2007 et 2008 sur les pratiques de recrutement de la main-d’œuvre et l’insertion professionnelle des diplômés. J’analyserai d’abord la place du diplôme en tant que critère de sélection des candidats à l’embauche, me référant ainsi à la valeur d’échange du diplôme définie à travers l’importance que les employeurs lui accordent dans le processus de recrutement. J’exposerai ensuite la perception des diplômés eux-mêmes quant à l’utilité du diplôme pour l’insertion sur le marché du travail, en questionnant ainsi à sa valeur d’usage qui renvoie au mode d’utilisation de la qualification du diplômé dans le processus d’accès à l’emploi.

2.1 Le diplôme dans le processus de recrutement

L’analyse du matériel empirique recueilli dans le cadre de la recherche auprès de personnes impliquées dans le processus de recrutement indique que les trois critères classiques qui tiennent une place particulière dans les mécanismes d’embauche, à savoir l’expérience professionnelle, les qualités personnelles et le diplôme, se déclinent comme suit:

Tout d’abord, l’expérience professionnelle apparaît comme le critère le plus valorisé dans le processus d’embauche. Mécanisme qui sert à éliminer un certain nombre de candidats, indicateur du potentiel d’adaptation, moyen utilisé pour réduire les coûts de transaction ex post, l’expérience est un signal stratégique de la compétence qui devance le diplôme pour réduire l’incertitude de décision de l’employeur au moment de la sélection d’un nouveau travailleur. L’expérience est mentionnée et exigée comme le critère le plus important d’embauche tant pour les techniciens que pour les professionnels et les cadres par la plupart des recruteurs interviewés. Cependant, si ce critère est majeur pour toutes les catégories de personnel, il ne l’est pas de la même manière pour chacun. Il apparaît comme plus important pour les postes d’exécution, notamment les techniciens, tandis que pour les professionnels et les cadres, les qualités individuelles et le diplôme prennent le dessus.  

Les qualités personnelles se retrouvent au deuxième rang des critères de sélection. Elles font référence à un ensemble d’exigences recherchées par les employeurs comme l’autonomie, la polyvalence, le dynamisme, la motivation, l’esprit de travail en équipe, l’aptitude à communiquer, etc. Il s’agit d’éléments déclarés très déterminants pour l’embauche, dans certains cas plus que l’expérience professionnelle, dans d’autres moins, mais souvent plus que les diplômes. Selon un DRH, « les employeurs cherchent aujourd’hui des jeunes qui trouvent du plaisir dans ce qu’ils font. Pour nous, ajoute-t-il les qualités individuelles priment sur les diplômes ». Sur ce plan, plusieurs recruteurs interviewés ont souligné l’importance d’évaluer l’affinité entre le jeune candidat et la culture de l’entreprise. L’embauche se fait selon des critères individualisés, l’employeur privilégiant certaines qualités individuelles qui correspondent à une certaine culture d’entreprise : « En tête de la liste de nos critères de sélection se trouve le partage par le jeune des valeurs de notre entreprise, témoigne un DRH. Nous recherchons des jeunes qui adhèrent aux valeurs que nous nous sommes donnés comme l’initiative, la responsabilité, l’autonomie, la persévérance. Nous croyons que nous pouvons avoir plus de succès avec des jeunes qui partagent nos valeurs même s’ils sont moins diplômés. La formation peut s’acquérir en cours de route ».

Enfin, le diplôme reste un étalon majeur parmi les critères de sélection, mais à l’exception de certains postes de techniciens et de professionnels qui demandent des certifications obligatoires, il n’est pas plus valorisé que les caractéristiques individuelles. Dans le contexte actuel du marché du travail, le diplôme est une condition nécessaire mais non suffisante pour l’accès à un emploi et il a subi un processus progressif de dévalorisation qui se manifeste, entre autres, dans la diminution de la confiance des employeurs dans son pouvoir de refléter des compétences recherchées. Plusieurs DRH se sont dits plutôt insatisfaits des diplômés, notamment de la manière dont ils ont été préparés pour le marché du travail. Par conséquent, ils accordent très peu d’importance à la formation certifiée par un diplôme et privilégient souvent la formation à l’interne, préférant une expérience acquise « sur le terrain » ou des qualités individuelles comme la polyvalence ou la capacité d’adaptation qu’ils considèrent plus appropriées aux formes spécifiques de travail dans l’entreprise. On constate ainsi que le diplôme n’est plus un obstacle pour progresser dans une entreprise en dépit de la séduction que le discours sur les décrocheurs qui ont été prématurément exclus du système scolaire. L’entreprise prend souvent la relève. Il faut préciser toutefois que plus le niveau d’emploi s’élève, plus le diplôme est reconnu dans les procédures de recrutement, et que pour les emplois plus qualifiés (qui sont généralement régis par des ordres professionnels), il existe un niveau de diplôme minimal en dessous duquel l’accès à ces types d’emplois est rare. Dans ce cas, le diplôme représente la référence essentielle qui fonde le monopole de l’exercice professionnel, mais qui ne garantit pas la compétence nécessaire pour cet exercice. La fonction du diplôme reste essentiellement celle de « filtre » pour identifier les capacités inhérentes d’un individu plutôt que de refléter réellement ses compétences, et l’augmentation du nombre d’étudiants universitaires renforce cette fonction. Les employeurs se voient obligés d’élever de plus en plus le niveau de formation nécessaire pour occuper un poste afin d’identifier les candidats les plus compétents, générant ainsi le phénomène d’ « inflation des diplômes ». Même si la nature d’une tâche de travail reste inchangée, ils exigent désormais une maîtrise là où un diplôme de baccalauréat suffisait.

À noter aussi, sur un autre plan, que les DRH interrogés considèrent moins légitime de rémunérer les études que le mérite purement professionnel (à savoir les responsabilités, la qualité du travail, le fait de travailler dur ou d’encadrer d’autres personnes). Le critère du diplôme (un salaire proportionnel aux études) est estimé beaucoup moins par rapport au critère du mérite. Ce constat n’est pas étonnant si l’on prend en compte le fait que le monde du travail, comme d’ailleurs la sphère économique en général, constitue un champ relationnel dans lequel le mérite est très valorisé. Dans la hiérarchie de ce champ, le diplôme se trouve dans une situation relativement fragile, illustrant ainsi l’interprétation sociologique qui soutient que le diplôme ne mesure qu’un mérite imparfaitement adapté au monde du travail.

2.2 La perception des diplômes par les diplômés

On a vu qu’en tant qu’attestation de compétences professionnelles ou signal pour les employeurs, le diplôme a perdu de son importance. Qu’en est-il du diplôme en tant qu’outil de validation d’un mérite individuel qui permet l’accès à un emploi convoité? Sur ce plan, nos données montrent que la perception du diplôme par plusieurs diplômés confirme sa perte de valeur comme critère de sélection dans le processus de recrutement au profit des qualités individuelles et de l’expérience. En témoigne les deux extraits d’entrevue ci-dessous : 

« Q : Qu’est-ce qui t’a aidé le plus pour te trouver ton emploi actuel?
R : C’est ma personnalité et mes aptitudes personnelles. Le fait que j’étais une personne qui aimait beaucoup réussir en ce que je fais, axée sur la performance et qui avait les mêmes valeurs que l’entreprise. Ça comptait pour beaucoup. À l’entrevue, je sais que ma performance académique a compté mais elle n’a pas été déterminante parce que d’autres personnes qui sont passées en entrevue étaient aussi bonnes sinon meilleures que moi. Là-dessus, ce n’est pas moi qui m’étais distinguée. C’était un pré-requis. Ma personnalité et mes aptitudes ont été déterminantes. Cela m’a distingué
. » (diplômée de baccalauréat en  finances administration)

« Je pense que le diplôme est une porte d’entrée dans un emploi, surtout dans le secteur public. Mais, je pense aussi que ce qui joue beaucoup, c’est la personnalité, l’intérêt pour le poste et ensuite l’expérience. Le diplôme est une porte d’entrée, un pré-requis, mais au-delà de ça, je pense que c’est vraiment ce qu’on démontre, ce qu’on est capable de faire, nos compétences. » (diplômée de baccalauréat en relations industrielles)

Il ressort de ces propos que les diplômés ont intériorisé les mécanismes de fonctionnement du marché du travail, l’éducation ayant pour eux une fonction de « filtre » et les diplômes faisant office de « signal » qui indique les potentialités individuelles.

Cependant, un nombre important de diplômés interrogés sont conscients que la formation universitaire n’a pas comme seule finalité le diplôme mais qu’elle vise à leur inculquer une culture générale et des compétences transversales : méthode de travail, esprit d’analyse, compétences communicationnelles, gestion du temps, etc. Ceci est particulièrement vrai dans les formations en lettres, sciences sociales, arts, communication, domaines où la correspondance formation-emploi est la plus faible. D’ailleurs, plus la formation entreprise est générale, plus les attentes relatives à la correspondance formation-emploi de leur futur travail sont modestes et à l’inverse, plus la formation est spécialisée, plus ces attentes seront élevées.

Interrogés sur la motivation de leur investissement dans les études, une majorité de diplômés universitaires considèrent que l’espoir d’un meilleur salaire motive leur démarche. La valorisation instrumentale des études décroît cependant avec le niveau, les diplômés au baccalauréat ayant mentionné plus souvent que ceux de la maîtrise le salaire comme mobile principal de leurs études. Pour les diplômés de maîtrise, aller à l’université va au-delà d’un investissement purement matériel. Ils sont moins nombreux à considérer que le salaire doit motiver les études, en accordant aux études universitaires une fonction plus « noble », celle de « se former la tête ». Dans leur discours, ils font référence à des éléments comme la culture générale, l’accès à une profession prestigieuse, l’accomplissement dans le travail. Notons aussi que la formation est perçue par une minorité de répondants comme une expérience de vie au même titre que les voyages et autres expériences de développement de la personne et que certains optent pour les études à défaut d’avoir un plan clair d’insertion sur le marché du travail.

Conclusion

Les analyses brièvement présentées ici permettent de mettre en évidence au moins deux séries de constats significatifs. Tout d’abord, le rendement du diplôme, mesuré selon les indicateurs d'insertion sur le marché du travail dans une perspective diachronique, est plus souvent constant et, dans certains cas, décroissant. Le phénomène de la surqualification qui persiste et s’amplifie avec l’augmentation du nombre de diplômés réduit également le rendement individuel et collectif en éducation. La surqualification est synonyme d’un gaspillage de ressources intellectuelles et d’une perte de productivité des individus par le déclin de leurs aptitudes cognitives provoqué par le lien mal assorti entre niveau d’éducation et niveau d’emploi. Elle produit aussi des effets négatifs sur la situation des moins qualifiés à l’intérieur du système d’emploi, notamment le crowding out ou « l’effet de report » c’est-à dire le refoulement de cette catégorie de la main-d’œuvre dans des franges inférieures du marché du travail.

En deuxième lieu, on observe que, comme tout bien dont la valeur était garantie par sa rareté, les diplômes tendent à perdre de leur valeur réelle et de leur valeur distinctive lorsque leurs détenteurs deviennent plus nombreux. Cette perte de valeur est d’autant plus importante que la concurrence entre les diplômés s’accentue sur le marché du travail. La production accrue et l’hétérogénéité des diplômes au sein de chaque niveau de formation a réduit la confiance que les recruteurs portent dans le système de certifications scolaires. Si les diplômes ont pendant de longues années constitués des référentiels d’appréciation bien établis, la période actuelle est marquée par une remise en cause de ces références et par des attentes nouvelles des employeurs à l’égard  des candidats à l’embauche. La notion de compétence est ainsi mobilisée pour mettre en valeur, non pas exclusivement les certifications de formation, mais les caractéristiques individuelles des jeunes et leurs capacités productives dans un contexte donné. Le diplôme, comme mode de réduction des incertitudes,  est déterminant pour certaines embauches mais, pour d’autres, il joue plutôt le rôle de filtre pour la présélection. Lors de la sélection par l’employeur, l’ajustement entre l’offre et la demande se réalise principalement sur la base de l’expérience professionnelle et des qualités personnelles. Ces phénomènes de dépréciation des diplômes aux yeux des employeurs ont poussé les demandeurs d’emploi à choisir d’autres moyens de signalisation des compétences, les diplômes n’étant plus perçus comme le support le plus efficace pour remplir cette fonction. On assiste ainsi à une dévalorisation « monétaire » du diplôme qui affecte sa valeur d’échange et à une dévalorisation symbolique qui met en jeu sa valeur d’usage. Les deux types de dévalorisation se trouvent en lien de causalité.

Notons, en terminant, qu’en dépit de la réduction de son rendement dans le temps, l’éducation universitaire génère des externalités positives pour l’ensemble de la société et nous devons éviter de la justifier exclusivement sur la base de son effet économique. Les études sont un moyen privilégié d’enrichir la vie des individus, et d’en faire des meilleurs citoyens, les diplômes ayant une valeur « intrinsèque » qui enrichit leurs détenteurs. De ce point de vue, l’analyse de l’articulation entre diplôme et marché du travail ne doit pas servir à décourager l’investissement dans l’éducation mais à offrir des pistes de réflexion et des solutions pour faire mieux fructifier cet investissement et éviter que la frustration ne devienne le sentiment dominant de l’expérience au travail.  S’il est vrai que « plus on éduque, mieux c’est », il importe cependant de voir comment on forme et à quoi. L’augmentation du nombre de diplômés et la question de la surqualification sont essentielles au regard de l’efficacité des politiques éducatives et il me semble important de s’intéresser de près au nombre et à la nature des diplômes de même qu’à leur niveau et aux « qualités » qu’ils reflètent en termes de compétences.

Références bibliographiques

Lessard, Christine. 2009. Les titulaires d’un grade universitaire au Québec : ce que disent les données du Recensement de 2006, Québec, ISQ.

OCDE. 2008. Regards sur l’éducation.

OCDE. 2007. Regards sur l’éducation.

Vultur, Mircea. 2010. « Les diplômés universitaires et le marché du travail : données et analyses à partir de l’exemple canadien et québécois », dans P. Andea et S. Kilyeni (ed.), Lifelong Learning : Support for Economic Growth, Editura Orizonturi Universitaires, Timisoara, p. 291-299.
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[1]  La question posée était la suivante : « Compte tenu de votre expérience, de votre niveau d’éducation et de la formation que vous avez reçue, pensez-vous être surqualifié pour exercer votre emploi principal actuel? ».
[2]  Cette méthode compare le niveau d’études de l’employé avec le niveau de compétence exigé pour le poste occupé.
[3]  Il s’agit des revenus deux fois plus élevés que le revenu d’emploi médian de l’ensemble de la population canadienne âgée de 25 à 64 ans, qui s’établissait en 2006 à 33 834 $ avant impôts et transfert.

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